Elsa Casalegno
Publicité pour la malbouffeLe secteur fait encore le coup de l’autorégulation
Pour éviter une interdiction pure et simple de la publicité pour des aliments trop gras, sucrés ou salés, les secteurs impliqués (l’agroalimentaire, les chaînes radio et télé, les agences publicitaires, les réseaux sociaux, etc.) ont préféré signer une charte de bonnes pratiques sous l’égide du gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom. Les pouvoirs publics soutiennent l’initiative, malgré son inefficacité démontrée pour contrer l’augmentation de l’obésité et du surpoids dans la population.
Les agences publicitaires, les industries agroalimentaires, les chaînes télévisuelles et les réseaux sociaux ont le bras plus long que les professionnels de la santé publique... Face à leur lobbying, toutes les tentatives pour interdire, ou au moins encadrer strictement la publicité pour des aliments trop gras, salés ou sucrés, et ciblant les enfants, se sont soldées par un échec. Pourtant, les chiffres de l’obésité infantile ne cessent de progresser en France. Désormais, le quart des jeunes sont en surpoids, dont 5 à 7 % sont obèses (selon les classes d’âge).
Malgré cet enjeu de santé publique, et les demandes de l’UFC-Que Choisir, les diverses propositions de loi ont été passées à la trappe, ou suffisamment édulcorées pour ne pas trop gêner le business (1). En lieu et place, une « Charte visant à promouvoir une alimentation et des comportements favorables à la santé dans les programmes audiovisuels, les contenus numériques et les communications commerciales », sous l’égide de l’Arcom (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) existe depuis 2009. Elle est renouvelée – et renforcée ‒ tous les cinq ans. La mouture 2025-2029 de cette charte des bonnes pratiques publicitaires a été publiée le 17 décembre dernier.
Réseaux sociaux et influenceurs impliqués
Elle présente quelques avancées. Internet, les réseaux sociaux et les influenceurs sont désormais inclus dans son périmètre : le représentant de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus et celui de l’association regroupant Google, Meta, TikTok et Snapchat sont désormais signataires, aux côtés des chaînes de radio et de télé, des agences publicitaires, ou encore du principal syndicat de l’agroalimentaire (Ania) ou de l’Union des marques. Cet élargissement était indispensable alors que, désormais, les jeunes générations passent plus de temps sur Internet que devant la télévision.
Autre bonne nouvelle, le ministère de la Santé est aussi partie prenante, ayant signé la charte et devant être associé au suivi de son application. Mais il devra ferrailler contre le ministère de la Culture, beaucoup plus réceptif aux intérêts des métiers de l’information et du spectacle ‒ financés en partie par la redevance sur la publicité.
Des chartes inefficaces
Ces avancées ne doivent cependant pas occulter un point : ce genre de chartes volontaires, qui manquent d’engagements chiffrés, sont surtout des effets d’annonce, sans efficacité sur l’évolution du régime alimentaire des jeunes ou leur embonpoint, comme le montrent diverses études scientifiques. Dans son bilan du Plan national nutrition santé (PNNS) 2019-2023, le ministère de la Santé souligne qu’encore « plus d’une publicité alimentaire sur deux promeut un produit Nutri-Score D ou E » lors du principal créneau TV regardé par les enfants. Seules des interdictions de publicités portant sur des produits de mauvaise qualité nutritionnelle montrent des effets perceptibles. D’après le site d’information Contexte, le ministère de la Santé aurait bien envisagé d’inscrire cette interdiction dans la charte, en vain. Reste à voir si les industriels de l’agroalimentaire, mais aussi les régies publicitaires, réduiront d’eux-mêmes la part de produits trop gras, sucrés ou salés parmi les publicités.
Pas de pub pour les jeunes Anglais ?
De ce point de vue, le Royaume-Uni a franchi un pas, que la France n’a pas osé. Confronté à des taux d’obésité très élevés dans sa population (une personne sur quatre, y compris chez les enfants), il ne mise pas sur la bonne volonté des industriels et des distributeurs pour limiter l’accès à la malbouffe. Il s’est résolu à réglementer – avec des avancées différentes selon les nations du pays. En Angleterre, depuis 2022, les produits trop gras, sucrés ou salés ne peuvent plus être mis en avant dans les rayons, ni en tête de gondole, ni à l’entrée des magasins, et sont interdits à moins de deux mètres des caisses, ainsi que des files d’attente. En parallèle, les promotions du type « deux pour le prix d’un » sont restreintes. Et à partir d’octobre 2025, la publicité pour des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle sera proscrite jusqu’à 21 h à la télé, et de façon permanente dans les contenus sponsorisés en ligne. L’Écosse et le Pays de Galles devraient s’aligner sur cette réglementation, avec quelques ajustements, à partir de 2025.
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(1) En 2018, celle du sénateur LREM Gattolin, adoptée mais contournée ; en 2019, celles des députés LFI Loïc Prud’homme et LREM Olivier Véran, toutes deux rejetées.