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Primes versées sur une assurance vie après 70 ansDu flou (assumé) dans la répartition de l’abattement de 30 500 €

Dans une récente réponse ministérielle, le gouvernement n’a pas estimé utile d’améliorer l’accessibilité des notaires au fichier des contrats d’assurance vie. Cela leur aurait pourtant permis de procéder correctement à la ventilation de l’abattement global de 30 500 € entre les bénéficiaires. Il y a un risque de redressement fiscal pour les contribuables concernés en cas d’erreur. Explications.

Afin de comprendre la portée de cette réponse, et le risque encouru si vous êtes bénéficiaire d’un contrat d’assurance alimenté avec des primes versées après les 70 ans de l’assuré, quelques règles de base doivent être maîtrisées.

Les primes versées sur une assurance vie font-elles partie de la succession du défunt ?

Non, sur le plan civil, cet argent se transmet « hors succession ». Le Code des assurances précise en effet que l’argent versé à un bénéficiaire n’est pas soumis aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers (art. L. 132-13). Concrètement, cela signifie que le capital et les intérêts détenus sur tous les contrats d’assurance vie du défunt ne sont pas comptabilisés dans l’actif successoral qui est partagé entre ses héritiers.

Les primes reçues par les bénéficiaires sont-elles imposées ?

Oui, elles peuvent l’être. En d’autres termes, ce n’est pas parce que ces primes sont civilement « hors succession » qu’elles sont fiscalement exonérées de droits de succession. La transmission via l’assurance vie s’effectue dans des conditions plus favorables que les autres actifs. Elle bénéficie d’une fiscalité dérogatoire selon la date d’ouverture du contrat et les âges auxquels ont été effectués les versements. Selon le Conseil d’analyse économique, cette fiscalité représente une « niche fiscale considérable compte tenu du poids macroéconomique de cet actif ». Fin 2022, les encours d’assurance vie atteignaient 1 857 milliards d’euros, soit un tiers du patrimoine financier des ménages. Selon la Fédération française de l’assurance, les transmissions de contrat d’assurance vie se sont élevées à 44 milliards d’euros en 2019.

Jusqu’à quelle somme reçue le bénéficiaire d’une assurance vie n’a aucun impôt à payer ?

L’exonération est totale, quelle que soit la somme transmise, pour les contrats souscrits au profit du conjoint ou partenaire de Pacs. Pour les autres bénéficiaires, l’exonération est limitée. Si le contrat d’assurance vie a été souscrit à compter du 20 novembre 1991, chaque bénéficiaire peut recevoir jusqu’à 152 500 € sans impôt à payer si l’assuré avait moins de 70 ans au moment du versement des primes. Il y a donc autant d’abattements de 152 500 € que de bénéficiaires choisis par le défunt. Au-delà de cette somme, le montant du prélèvement est de 20 % jusqu’à 700 000 € et de 31,25 % au-delà (art. 990 I du Code général des impôts). Ce prélèvement est effectué directement par l'établissement financier.

Par exemple, un assuré a souscrit un contrat en 2012 en désignant ses deux enfants bénéficiaires dans des proportions égales. La totalité des primes, à savoir 400 000 €, a été versée sur son contrat avant ses 70 ans. À son décès, chacun de ses deux enfants recevra 200 000 € - 9 500 € d’impôts, soit 190 500 € net d’impôts (200 000 € - 152 500 € = 47 500 €, taxés à 20 %).

Les sommes investies après 70 ans sont-elles soumises à un régime moins favorable ?

Oui, la fiscalité de l’assurance vie est moins attractive après les 70 ans de l’assuré. Si un bénéficiaire reçoit de l’argent d’une assurance vie dont les primes ont été versées sur le contrat après les 70 ans du souscripteur, celles-ci sont soumises aux droits de succession, après application d’un abattement de 30 500 € (art. 757 B du Code général des impôts). Il s’agit d’un abattement unique applicable à tous les contrats détenus par le défunt assuré et qui doit être partagé entre tous les bénéficiaires désignés. Ainsi, lorsqu’un même assuré a conclu plusieurs contrats, on tient compte de toutes les primes qu’il a versées après ses 70 ans, tous contrats confondus, pour voir si le seuil de 30 500 € est franchi. En outre, cet abattement de 30 500 € est unique, quel que soit le nombre de bénéficiaires désignés. S’il y en a plusieurs, il doit donc être réparti entre eux au prorata de leurs droits dans les primes imposables. Puis, les droits de succession sont déterminés en fonction du lien de parenté entre l’assuré et le bénéficiaire du contrat. Pour un enfant, c’est donc le tarif en ligne directe qui s’applique, il s’agit d’un barème progressif allant de 5 à 45 %. Pour des personnes non parentes, le taux d’imposition atteint 60 %. « Toutefois, précise Me Vincent Morati, notaire, cette taxation ne concerne que les capitaux qui ont été placés au départ. Les éventuels accroissements obtenus grâce aux intérêts ou plus-values de placements échappent à toute fiscalité successorale, ce qui demeure un avantage assez unique. »

Au décès du souscripteur, comment le bénéficiaire obtient-il le versement du capital par l’assureur ?

En pratique, le bénéficiaire doit fournir un certificat d’acquittement ou de non-exigibilité de l’impôt délivré par l’administration fiscale pour obtenir la libération des fonds. Il lui est remis après qu’il a satisfait à l’obligation légale de déclaration. En effet, le Code général des impôts impose aux bénéficiaires de déclarer le ou les contrats d’assurance vie sur lesquels des primes ont été versées après les 70 ans de l’assuré (art. 292 A de l’annexe II). Il convient d’utiliser le formulaire 2705-A « déclaration partielle de succession » et de le déposer accompagné du paiement des droits. Pour remplir correctement le formulaire, il est possible d’interroger les assureurs. Ces derniers sont tenus de communiquer les informations nécessaires aux bénéficiaires qui en font la demande.

Est-ce au notaire de ventiler l’abattement de 30 500 € entre les bénéficiaires ?

Oui, le plus souvent, car lorsque le bénéficiaire a la qualité d’héritier ou de légataire, les informations relatives aux contrats d’assurance vie et aux primes versées après les 70 ans de l’assuré doivent figurer sur la déclaration de succession principale, comprenant tous les actifs de la succession, qui est déposée dans les six mois du décès (1). Et c’est le plus souvent le notaire qui l’établit. Mais, comme l’indique le député David Habib dans sa question posée au gouvernement le 12 septembre dernier, « les compagnies d'assurance opposent quotidiennement aux notaires le secret professionnel et refusent de leur indiquer l'identité des bénéficiaires » ce qui les empêcherait d’exécuter leur mission. « En effet, ces bénéficiaires ne sont pas forcément héritiers ou légataires et le notaire est alors dépourvu de moyens lui permettant de connaître l'identité des bénéficiaires et la proportion dans laquelle ils le sont. »

Actuellement, selon la loi, le notaire a un accès indirect au fichier national des contrats d’assurance vie et de capitalisation (Ficovie) : si les héritiers lui en donnent mandat, il peut interroger l’administration fiscale pour que celle-ci lui communique certaines informations détenues dans ce fichier. Il s’agit des données relatives aux contrats dont le mandant (c’est-à-dire l’héritier) est identifié comme bénéficiaire. En revanche, il n’a pas accès aux informations relatives à d’éventuels tiers bénéficiaires. En conséquence, le risque est qu’il y ait d’autres bénéficiaires et que chacun applique par méconnaissance l’abattement de 30 500 € qui doit pourtant être partagé.

Imaginons que le notaire pense, au regard des informations dont il dispose, qu’il y a seulement deux bénéficiaires, qui sont les deux enfants qui se sont adressés à lui pour le règlement de la succession. Il va leur affecter à chacun un abattement de 15 250 € (30 500/2). Mais, en réalité, il y a un troisième bénéficiaire dont il n’a pas connaissance, un concubin par exemple, qui a lui-même procédé à une déclaration partielle. Dans ce cas, l’abattement aurait dû être divisé en trois et non en deux. Cette situation peut se produire alors que chacun peut être de bonne foi puisque personne ne dispose de la possibilité de connaître les bénéficiaires de tous les contrats souscrits par le défunt et d'opérer ainsi les calculs adéquats. Dans notre exemple, les deux enfants ont pu utiliser l’abattement de 30 500 € une première fois dans sa totalité et le concubin une seconde fois dans sa totalité également alors que chacun n’aurait pu prétendre qu’à un tiers.

Quel est le risque si l’abattement a été mal partagé ?

Il en résulte d’une part un manque à gagner pour l'administration fiscale et d’autre part un risque de redressement pour le contribuable, avec des difficultés de paiement s’il a entretemps utilisé les fonds lui revenant. Le redressement peut intervenir jusqu’à la fin de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. L’administration doit bien sûr au préalable se rendre compte de l’erreur en opérant des recoupements au travers des déclarations de succession reçues et en constatant que l'abattement de 30 500 € a été appliqué dans une trop grande proportion par différents bénéficiaires.

Dès lors, pourquoi ne pas permettre au notaire de disposer de ces informations ?

C’est justement l’objet de la question posée par ce député au gouvernement. Ce dernier, par la voix du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, vient d’y répondre (2). Il a estimé qu’il n’était pas « utile d’étendre l’accès au Ficovie » pour permettre aux notaires d’avoir une connaissance de tous les contrats d’assurance vie souscrits par le défunt et l’identité des bénéficiaires des contrats lorsque des primes ont été versées après 70 ans. Pour Me Vincent Morati, notaire, « cette réponse ministérielle est aberrante. Au-delà de l’insécurité juridique dans laquelle les contribuables sont plongés, la fiscalité n’est pas efficacement perçue par l’État alors qu’il cherche à augmenter les recettes. La solution qui était ici proposée, à savoir étendre l’accès au fichier Ficovie, était simple et efficace. Ce fichier a justement été créé pour renforcer la capacité de contrôle de l’administration fiscale, mais aussi l’information des héritiers du défunt, et pour continuer à lutter contre les phénomènes de déshérence. Quel peut être l’intérêt du gouvernement de faire ce type de réponse ? », s’interroge-t-il. Et d’ajouter : « Ces difficultés viennent accroître les maux qui s’abattaient déjà sur la belle idée que constituait pourtant ce fichier. Il est à la fois atteint dans sa fiabilité, en raison du manque d’alimentation exhaustive, mais aussi dans son efficacité, du fait d’un refus de l’administration fiscale de donner des renseignements sur les contrats non dénoués. » Me Morati soulève ici deux points importants. Ce fichier, en vigueur depuis 2016, géré par la Direction générale des finances publiques et alimenté par les assureurs n’est en effet actuellement pas fiable. Il arrive très souvent que les notaires l’interrogent et obtiennent une réponse négative, synonyme d’absence de contrat, alors même que les héritiers ont apporté la preuve de l’existence d’une ou plusieurs assurances vie souscrites par le défunt. Autre écueil, si les époux étaient mariés sous le régime de la communauté, c’est-à-dire sans contrat de mariage, ce qui est le cas le plus fréquent, et que le conjoint du défunt avait souscrit un contrat d’assurance vie, la communauté doit être indemnisée pour l’argent commun placé sur ce contrat. En d’autres termes, le veuf ou la veuve doit une récompense à la communauté, et par extension aux héritiers. « La perte précieuse de ces informations fait obstacle aux droits des héritiers et aux relations familiales apaisées », conclut Me Morati.

Le risque de redressement est-il réel pour les contribuables ?

En théorie, l’administration fiscale est en mesure de recouper toutes les informations qu’elle détient. Dans notre exemple ci-dessus, elle a à la fois reçu la déclaration des deux enfants et à la fois celle du concubin. Pour Me Morati, « elle n’a pas forcément les moyens de le faire. Actuellement, avec plus de 600 000 décès par an, elle est plutôt noyée sous une montagne de données. Mais avec l’intelligence artificielle, cela viendra sûrement et il y aura sans doute de moins en moins de bénéficiaires pas vus, pas pris ». ​​​​

70 ans et 30 500 € : une évolution de ces limites est-elle prévue ?

Non, c’est en tout cas la réponse qu’avait faite le gouvernement il y a quelques années à la suite d’une question d’un député. Ce dernier indiquait que ces deux limites étaient restées inchangées depuis 1991. « Or en 26 ans, le taux d'inflation cumulé étant de 49,9 %, ce montant aurait dû passer de 200 000 FF (30 500 €) à 45 692 €. De plus, en France, l'espérance de vie est passée de 72 ans en 1991 à 80 ans en 2017 pour les hommes et de 81 ans en 1991 à 85 ans en 2017 pour les femmes. » Dans la mesure où ces changements étaient significatifs, il questionnait le gouvernement pour savoir s’il entendait adapter ces deux critères, notamment en faisant passer de 70 à 75 ans celui de l’âge de l’assuré et en augmentant à 50 000 € le montant à partir duquel il y a des droits de succession à payer. Refus du ministère de l’Économie et des finances, pour qui « il s'agit d'éviter que l'assurance vie soit utilisée, à la fin de la vie, afin d'y placer des sommes qui se retrouveraient sinon dans l'actif successoral. Au regard de cet objectif, la limite de 70 ans est cohérente. Même si l'espérance de vie tend à s'allonger, il n'est pas envisagé de modifier l'âge au-delà duquel les primes sont soumises aux droits de mutation à titre gratuit, ni d'augmenter le montant de l'abattement de 30 500 €, qui constitue déjà une mesure favorable par rapport au régime fiscal des autres actifs successoraux. » (1)

(1) Réponse ministérielle n° 2045, JOAN du 20/02/2018.

(1) BOFIP-ENR-DMTG-10-10-20-20 §290.
(2) Réponse ministérielle n° 11247, JOAN du 09/01/2024.

Rosine Maiolo

Rosine Maiolo

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