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Prescription en pharmacieLes médecins refusent d’avaler la pilule

Dans le cadre de la loi santé qui sera votée à partir du 18 mars, un amendement propose que les pharmaciens puissent délivrer en urgence des médicaments habituellement prescrits sur ordonnance. Solution efficace pour assurer la continuité des soins pour les uns, mesure dangereuse qu’il est urgent d’enterrer pour les autres, la proposition divise d’ores et déjà pharmaciens et médecins généralistes.

Mise à jour du 26 juillet 2019

Le projet de loi voté par le Sénat

Malgré la réticence d'une partie des syndicats de médecins et de l'Ordre des médecins, la proposition a été votée par le Sénat le 16 juillet 2019 dans le cadre du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, clôturant ainsi le processus d’adoption de ce texte.

Fort logiquement, l'Ordre des pharmaciens se réjouit de cette décision : « [le] contenu de ce texte contient de réelles avancées pour les patients en termes d’accès aux soins et de sécurité, mais aussi pour les pharmaciens, dont le rôle de professionnel de santé de premier recours est reconnu », a déclaré dans un communiqué Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

À l'opposé, contacté par nos soins, l'Ordre des médecins ne cache pas ses réticences face à l'adoption du principe même de prescription pharmaceutique. « Il est regrettable que cette dispensation ne se fasse pas dans le cadre d'une coordination entre médecin et pharmacien », déplore le DFrançois Simon, président de la section exercice professionnel qui dénonce un mélange des genres.

Sous réserve que le Conseil constitutionnel ne soit pas saisi, la prochaine et dernière étape est désormais la publication au Journal officiel.

Remède ou poison ? La proposition faite sous forme d’amendement à la loi santé sera discutée fin mars dans l’hémicycle. Mais le débat est déjà vif entre médecins et pharmaciens autour de la « prescription pharmaceutique ». Son principe : donner la possibilité aux pharmaciens, en cas de petites urgences, de délivrer des médicaments qui ne peuvent habituellement pas l’être sans l’ordonnance d’un médecin.

Si la proposition suscite d’emblée la méfiance chez la plupart des médecins, elle est pourtant émise par un membre de la profession, le député Thomas Mesnier (LRM) qui défendait son texte sur RTL le 7 mars : « Je suis médecin de formation, j’étais médecin urgentiste, je voyais tous les jours des gens arriver aux urgences pour des angines, pour des cystites, faute de réponse en médecine de ville. Leur place n’est pas aux urgences : ma proposition est une solution concrète, du quotidien, pour améliorer l’accès aux soins des Français. Des soins plus accessibles et de même qualité. »

Assurer une continuité des soins

Dans un rapport remis à Agnès Buzyn au printemps 2018, le député charentais détaillait son projet sur les soins non programmés (SNP), soutenu par l’ordre des pharmaciens et les principaux syndicats de la profession. Soit l’idée de dispenser, sous protocole et avec une trace dans le dossier pharmaceutique du patient un certain nombre de traitements pour la cystite, l’angine, les antalgiques de niveau 2 ou encore le traitement des allergies saisonnières (si elles ont donné lieu à une première prescription une année donnée).

Selon ses défenseurs, cette mesure serait une solution à l’encombrement des urgences. Elle pourrait également être salutaire pour les patients vivant dans des déserts médicaux, le maillage des officines en France étant parmi les plus hauts d’Europe. Dans les deux cas, l’idée est d’assurer une continuité des soins quand le corps médical ne peut plus suivre.

Des médecins inquiets de déléguer

Mais la proposition est plutôt froidement accueillie par les médecins. « Au-delà du fait que nous avons le sentiment que notre travail est nié, on ne peut pas cautionner l’idée de "petites urgences" », estime Florence Zemour, médecin généraliste à Vitrolles dans les Bouches-du-Rhône. « Pour juger de la gravité ou non d’une cystite par exemple, il faut effectuer un interrogatoire, un examen. C’est indispensable pour poser un diagnostic, et les pharmaciens ne sont pas formés pour ça », ajoute le médecin qui regrette que la délivrance de médicaments en urgence soit généralisée par une loi au lieu d’être mise en place dans le cadre de protocoles discutés au niveau local, par exemple via les CPTS (1). « Sans compter le conflit déontologique que sous-tend le fait de confier prescription et vente au même professionnel de santé », conclut-elle.

Même son de cloche du côté des représentants de la profession. Le syndicat de médecins généralistes MG France, qui dénonce une « confusion des rôles », menace carrément de rompre le dialogue avec le gouvernement « si cet amendement qui désorganiserait un peu plus le système de soins est maintenu ».

Deuxième tentative pour un texte controversé

La proposition qui devra être discutée à l'Assemblée nationale à la fin du mois de mars s’est déjà heurtée une première fois aux réticences. À l’automne dernier, le texte proposé dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale avait en effet été retoqué par l’Assemblée nationale. Pour cette deuxième tentative, la proposition semble avoir le soutien du gouvernement. Un soutien toutefois pas inconditionnel. Faisant fi des inquiétudes des médecins, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a ainsi soutenu la proposition de loi le vendredi 8 mars sur France Info : « Je suis certaine que nous trouverons une voie d’entente avec les professionnels de santé, les médecins comme les pharmaciens… » Avant de se montrer plus mesurée le lendemain, en commission des Affaires sociales de l’Assemblée : « Je crois que cette évolution des rôles en termes de prescription doit nécessiter encore un peu de travail. »

Une pratique déjà existante ?

Obtenir un antidouleur ou un antibiotique sans ordonnance pour être rapidement soulagé : mission impossible ? Ces dépannages existent déjà en pratique, « même s’ils restent très occasionnels », soulignent les pharmaciens et médecins généralistes que nous avons interrogés à ce sujet. En cas de dépannage d’un médicament d’urgence, le pharmacien a deux possibilités. La première consiste à faire régler au patient le prix du médicament sans établir de feuille de soin (car celle-ci doit s’accompagner d’une ordonnance pour entraîner un remboursement de l’assurance maladie). La seconde consiste à faire l’avance du médicament au patient, qui ne paie rien ou uniquement la part non prise en charge par la Sécurité sociale, dans l’attente de la régularisation de la situation par la présentation d’une ordonnance. Une deuxième option qui implique une relation de confiance entre pharmacien, médecin et patient. Dans tous les cas, le pharmacien peut enregistrer le médicament délivré grâce à la carte Vitale du patient dans son historique numérique afin d’en garder la trace. 

(1) Les CPTS ou communautés professionnelles territoriales de santé ont pour rôle de coordonner les professionnels d’un même territoire (médecin généraliste, infirmier, kinésithérapeute, pharmacien, sage-femme, professionnels de la PMI...) qui souhaitent s’organiser – à leur initiative – pour répondre à des problématiques de santé : organisation des soins non programmés, coordination ville-hôpital, coopération entre médecins et infirmiers pour le maintien à domicile, parcours de santé des personnes migrantes…
Source : ministère des Solidarités et de la Santé.

Marie-Noëlle Delaby

Marie-Noëlle Delaby

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