par Elsa Abdoun
Pots de yaourtEnfin recyclés ?

« Je vais dans le bac jaune avec mon opercule détaché », peut-on lire actuellement sur des milliers de pots de yaourt, dans le cadre d’une grande campagne encourageant les consommateurs à jeter ces emballages dans la poubelle de tri. Mais est-ce vraiment utile ?
60 000 tonnes de petits pots de yaourt et de compote sont jetés chaque année en France. Et malgré la simplification récente des consignes de tri, qui invitent à présent à jeter tous les emballages, sans distinction, dans la poubelle jaune, seules 5 000 tonnes de ces emballages en polystyrène arrivent dans les centres de tri, d’après Citeo, l’un des éco-organismes en charge de la gestion des déchets d’emballages en France. Ce sont donc 55 000 tonnes de petits pots qui finissent chaque année enfouies ou incinérées. Un véritable fléau écologique, si l’on en croit Pauline Debrabandere, chargée de plaidoyer au sein de l’association Zero Waste France : « Les centres d’enfouissement sont tout simplement des décharges à ciel ouvert. Les déchets relarguent tout un tas de gaz, notamment du méthane, et au niveau du sol, il y a certes des membranes qui sont censées faire barrière, mais dans les faits il peut y avoir des fuites, jusque dans les nappes phréatiques. » L’incinération ne trouve pas plus grâce à ses yeux : « On doit faire chauffer en permanence des fours à plus de 800 °C, pour finalement se retrouver avec des polluants tels que PFAS ou encore dioxines relargués dans l’air, et sur une tonne de déchets brûlés, on récupère encore 370 kg de matière ultraconcentrée en polluants qui va soit être utilisée comme remblai sur les routes, et donc diffuser dans les sols, soit être enfouie dans des mines de fer. »
#TriTonPot
Pour réduire le nombre d’emballages finissant de cette manière, Syndifrais, le syndicat regroupant les principaux fabricants de produits laitiers frais, a lancé en février dernier une grande campagne de communication intitulée « #TriTonPot ». Jusqu’à la fin de l’été, des messages seront imprimés sur les opercules de 500 millions de petits pots de yaourt, tels que « Je vais dans le bac jaune avec mon opercule détaché », « Moi aussi je vais au tri » ou encore « Si je vais au tri, je serai recyclé ». Mais recyclables, le sont-ils réellement ? C’est la question que beaucoup se posent… ce qui freine probablement en partie l’adoption du geste de tri.
Premier élément de doute : la capacité des centres de tri (qui séparent l’ensemble des déchets du bac jaune) et de sur-tri (qui séparent ensuite les différents types de plastiques) à isoler la totalité du polystyrène des autres matériaux, afin de l’envoyer au recyclage. « Il n’y a que trois centres de sur-tri en France, qui ne peuvent gérer que 70 000 tonnes de déchets en plastique au total par an, soit bien moins que ce qui est jeté. C’est donc impossible que tout le polystyrène jeté dans le bac jaune soit pris en charge », affirme Pauline Debrabandere, qui assure avoir « constaté récemment dans un centre de tri des balles de plastiques [des blocs compactés de différents plastiques mélangés, ndlr] qui n'étaient pas destinées au sur-tri et qui allaient de fait se retrouver en incinération. » Citeo assure au contraire qu’actuellement, « 95 % des petits pots en polystyrène qui sont triés dans le bac jaune sont envoyés au recyclage », mais sans fournir aucune preuve à l’appui de ce chiffre. Difficile d’être affirmatif, donc. Une chose est sûre : au moins une partie des pots jetés dans le bac jaune s’avère recyclée, alors qu’aucun ne l’est parmi ceux mis dans la poubelle tout-venant.
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Deuxième élément de suspicion : l’intérêt du recyclage, tel qu’il est pratiqué actuellement avec le polystyrène. Car ce plastique fait, à l’heure actuelle, l’objet d’une transformation uniquement mécanique, en cintres, pots de fleurs ou encore pare-chocs. Certes, de cette manière, sa production et la pollution qu’elle aura engendrée n’auront pas seulement servi à contenir 125 grammes de yaourt pendant quelques jours. Ce matériau aura aussi porté une jupe ou un cactus pendant quelques années… Mais une fois le cintre ou le pot de fleurs cassé, le résultat est le même : enfouissement ou incinération. L’intérêt reste donc limité.
Usine européenne de recyclage chimique du polystyrène
Mais sur ce plan, les choses devraient heureusement bientôt changer. Dans quelques mois doit en effet démarrer, en Belgique, la première usine européenne de recyclage chimique du polystyrène qui permettra, enfin, de transformer les pots de yaourt usagés… en nouveaux pots de yaourt. « Techniquement, il n’y a aucune limite au nombre de cycles [de réemploi] », affirme Indaver, l’entreprise détentrice de cette nouvelle usine, qui assure que le matériau obtenu à partir du polystyrène recyclé « a les mêmes propriétés que la version vierge ».
Si l’on en croit un rapport de 2023 du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne, cette technologie présente des bénéfices environnementaux très nets, par rapport à une absence de recyclage mais aussi par rapport au recyclage mécanique. Et Citeo s’est engagé à fournir un minimum de 8 000 tonnes par an de polystyrène à Indaver, tout en assurant que « si le nombre de pots de yaourt jetés dans le bac jaune devait augmenter, ce que l’on espère, la quantité pourra augmenter ». Une information confirmée par Indaver.
Bref, il y a toutes les raisons de jeter ses pots de yaourt, comme les autres emballages, dans le bac jaune (sans les laver et sans les empiler !) même si ce tri ne règle pas tous les problèmes, loin de là. En effet, les taux de tri et donc de recyclage demeurant pour l’instant très faibles, les pots de yaourt devraient encore longtemps être produits, en très grande majorité, à partir de polystyrène vierge. Du plastique supplémentaire en circulation sur la terre pour des milliers d’années, avec tous les effets sanitaires qu’on lui connaît… et ceux qui restent encore à découvrir. Ensuite, Citeo prévoit de continuer à envoyer 20 % du polystyrène récolté au recyclage mécanique, dont les bénéfices sont bien plus limités. « On préfère ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier », se justifie sans plus de détails Citeo. Enfin, si le recyclage chimique permet d’éviter la production de nouveau plastique, il n’est certainement pas lui-même totalement dénué de conséquences sur l’environnement : quelles seront les consommations d’eau et d’énergie ou encore les pollutions générées par l’usine d’Indaver ? L’entreprise n’a pas souhaité répondre à cette question.
Produits consignés
Limiter sa consommation d’emballages, même recyclables, reste donc évidemment indispensable. Pour cela, plusieurs solutions : faire ses compotes, desserts et yaourts soi-même ou, quand c’est possible, privilégier les produits consignés, dont les emballages en verre sont à ramener au magasin, afin qu’ils soient lavés et réemployés. Certains magasins, notamment ceux spécialisés en bio, commencent à proposer ce type de services. Environ 600 points de vente Biocoop, en France, en seraient notamment équipés. Une expérimentation devrait également débuter ce mois-ci dans plus de 1 000 supermarchés des Pays de la Loire, de Bretagne, Normandie et Hauts-de-France. « La consigne pour réemploi, c’est mieux sur le plan environnemental mais c’est aussi plus économique, et cela créé de l’emploi local. On investit énormément d’argent public dans le développement d’usines de recyclage, mais on ferait mieux de le mettre dans le développement de filières de réemploi », commente Pauline Debrabandere.
Précisons enfin que, si l’on n’a pas d’autre choix que d'acheter ses yaourts dans des emballages jetables, mieux vaut toujours privilégier ceux qui se présentent en format familial, et non individuel, car cela réduit, à quantité de produit égale, la masse de plastique utilisé.
Elsa Abdoun