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Pollution plastique

Les caprices de Capri-Sun

Comme tous les fabricants, la marque suisse de boissons sucrées aux fruits Capri-Sun a dû se plier à une directive européenne qui interdit les pailles en plastique depuis juillet 2021. Elle lance néanmoins une pétition pour convaincre Bruxelles de revenir en arrière.

Il fallait oser. Capri-Sun, le fabricant suisse de boissons sucrées, a lancé le 28 août dernier une pétition sur le site Internet Change.org, demandant à pouvoir bénéficier d’une dérogation lui permettant de revenir aux pailles en plastique dans l’Union européenne (UE). La marque explique avoir besoin d’un million de signatures, l’une des conditions pour pouvoir lancer une initiative citoyenne européenne (ICE) (1). Instauré en 2011, cet outil permet à des citoyens européens de demander à la Commission européenne de légiférer sur un sujet donné. Une fois ce cap du million de signatures atteint, Bruxelles ne peut plus esquiver.

Des pailles qui concourent à la pollution plastique des océans

Plusieurs ICE ont ainsi été lancées par des associations de défense de l’environnement pour interdire les pesticides dans l’UE, interdire le commerce des ailerons de requins, mettre fin à l’élevage en cage… Celle que cherche à lancer Capri-Sun veut, elle, revenir sur une directive européenne qui interdit depuis juillet 2021 la mise sur le marché de toute une liste de plastiques à usage unique lorsque des alternatives existent. Dont les pailles mais aussi les gobelets, les couverts, les bâtonnets de sucettes…

Et pour cause : ces produits, jetés après une très brève utilisation, par ailleurs souvent petits et volatils, « représentent la grande majorité des déchets plastiques retrouvés sur le littoral et en mer en Europe », rappelle Surfrider, ONG environnementale spécialisée sur les enjeux de protection de l’océan. Se fragmentant progressivement en microplastiques, ces plastiques à usage unique représentent alors une menace pour la flore et la faune aquatique qui les ingèrent.

La pétition de Capri-Sun sur Change.org.

Une paille en papier qui ne convainc pas

Capri-Sun s’est donc plié à cette directive, en passant d’une paille en plastique à une paille en papier. Le sujet est sensible pour cette marque qui a fait de son packaging sa marque de fabrique. Elle conditionne ses boissons dans une poche en aluminium vendue avec une paille qui sert autant à la percer qu’à en extraire le liquide. Sauf que, avec une paille en papier, ça marche nettement moins bien. La perforation de la poche serait plus difficile avec les pailles en papier, mais celles-ci auraient aussi l’inconvénient de se déchirer dans la bouche et d’altérer le goût de la boisson. « Nous savons que le passage aux pailles en papier en 2021 n'a pas été idéal pour beaucoup d'entre vous car elles sont moins fonctionnelles », confirme Capri-Sun dans le texte qui accompagne sa pétition.

Mais la marque avance un autre argument, plus fallacieux, pour justifier sa demande de dérogation. Le groupe met en ce moment sur le marché de nouvelles poches en polypropylène (PP), plus facilement recyclables que les anciennes composées de plusieurs matériaux. L’intérêt alors de réintroduire la paille en plastique serait de permettre aux consommateurs de jeter l’ensemble (la poche et la paille) dans une même poubelle, la jaune, et ainsi faciliter le geste de tri, argumente Capri-Sun. L’entreprise précise vouloir « éviter que la paille en papier ne pollue le processus de recyclage ».

La boisson s’achète à l’unité ou en pack.

Sans paille tout court ?

Un argument guère convaincant. Si elle peut être compostée, « la paille en papier peut très bien aller aussi au recyclage et être ainsi mise dans la même poubelle (la jaune) que la poche en polypropylène, rappelle en tout cas Pauline Debrabandere, coordinatrice des campagnes de Zero Waste, ONG qui œuvre pour l’avènement d’une société zéro déchet. Les centres de tri des déchets n’ont pas de difficulté à séparer ces deux éléments. »

Avec cette pétition, Capri-Sun étale au grand jour le peu de cas qu’elle fait des enjeux environnementaux de notre époque et s’expose au mauvais coup de pub. À ce jour, un peu plus de 49 000 personnes ont signé la pétition. Paradoxalement, Capri-Sun sait se passer totalement de paille. Depuis juillet en France, son nouveau format 330 ml dispose d’un bouchon refermable. Il est même solidaire, c’est-à-dire attaché au reste du récipient comme c’est obligatoire depuis le 3 juillet dans l’Union européenne pour les bouteilles en plastique de moins de 3 litres. Le but est d’éviter le plus possible que ces bouchons se perdent dans la nature. C’est déjà ça de plus par rapport aux pailles.

Capri-Sun commercialise aussi des boissons au format poche refermable.

Aller vers le réemploi

Pauline Debrabandere invite Capri-Sun à être plus ambitieux encore. « Certes, ces poches en polypropylène, plus facilement recyclables, vont dans le bon sens, commente-t-elle. Le problème est que l’on reste sur des formats de boissons faits pour un usage nomade, c’est-à-dire consommés hors domicile. C’est dans ce cas de figure que les emballages sont jetés plus facilement dans la nature ou mis dans la mauvaise poubelle, celle dédiée aux ordures ménagères avec aucun recyclage derrière. »

Le véritable enjeu alors, pour ce type de produits, est d’aller vers des emballages réemployables. « Capri-Sun pourrait imaginer une poche un peu plus rigide et consignable, c’est-à-dire que le consommateur rapporterait là où il l’a acheté par exemple pour qu’elle soit lavée et remise dans le circuit, reprend-elle. Des petits producteurs de boissons le font déjà, mais pas de gros encore malheureusement. » Voilà comment Capri-Sun pourrait se démarquer, de façon positive cette fois-ci.

Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

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