Elsa Casalegno
Pollution plastiqueDe plus en plus catastrophique
Un rapport parlementaire dresse un état des lieux alarmant de l’impact des plastiques sur la santé humaine. Mais combattre efficacement leur dissémination dans l’environnement nécessite des mesures à l’échelle internationale. Un traité mondial de lutte contre cette pollution est en cours de négociation sous l’égide de l’ONU.
On savait l’omniprésence du plastique dans notre quotidien, on n’ignorait plus sa présence dans les océans. Ce qu’on connaît moins, c’est sa présence… dans nos organismes ! Pour mesurer son impact sur la santé, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) (1) a mené une série d’auditions de scientifiques. Les conclusions, présentées par le député Philippe Bolo (Les Démocrates) le 14 novembre, sont alarmantes.
Quelles substances sont impliquées ?
Air, eau, sol, aliments… Notre environnement pullule de minuscules fragments de plastique, de l’ordre du micromètre, voire du nanomètre. Ces particules sont de forme et de taille très variables, d’où une difficulté méthodologique à les échantillonner. Elles sont aussi de composition complexe. En effet, les plastiques, des polymères obtenus par craquage (2) d’hydrocarbures, sont assaisonnés d’innombrables substances chimiques destinées à les durcir, les assouplir, les stabiliser, les blanchir, les colorer, etc. Au total, « au moins 16 000 substances, telles que des additifs, des auxiliaires de fabrication, des impuretés ou des substances qui se forment lors des réactions chimiques » sont comptabilisées, souligne Philippe Bolo.
Le quart de ces substances est considéré comme dangereux, qu’elles soient cancérogènes, reprotoxiques, mutagènes, perturbateurs endocriniens, etc. « Seuls 161 ont été jugées non dangereuses par des réglementations nationales, mais ces évaluations manquent de rigueur scientifique », souligne le député – un problème d’ailleurs général à l’évaluation de l’ensemble des substances chimiques, comme le montre notre enquête.
Comment les absorbons-nous ?
Les trois portes d’entrée de ces microplastiques dans le corps humain sont les voies alimentaire, respiratoire et cutanée. Nous en mangeons et buvons via nos aliments : des études ont montré la présence de nanoplastiques dans le thé, le riz, l’eau en bouteille, par exemple, mais compte tenu de la contamination généralisée de l’environnement, ils sont probablement présents dans toutes nos denrées.
Nous en inhalons également, puisque des fragments de pneus, de textiles et autres poussières diverses sont en suspension dans l’air. « L’inhalation de microplastiques est au moins aussi importante que l’ingestion », signale Philippe Bolo. En région parisienne, où 3 à 10 tonnes de plastique flottent dans l’air, « nous respirons jusqu’à 30 millions de particules par an ».
Une porte d’entrée plus marginale est la voie cutanée, via les produits appliqués sur la peau, volontairement ou non.
En quelles quantités sont-ils présents ?
Les chercheurs se heurtent à des difficultés méthodologiques pour calculer de quelle part de plastique notre corps est désormais composé. En 2019, une étude a avancé qu’on ingérait l’équivalent d’une carte de crédit par semaine, faisant grand bruit. Depuis, d’autres publications ont évoqué des chiffres variant de 2 fois moins à 10 milliards de fois moins… Bref, le consensus n’est pas encore établi.
Dans quels organes se retrouvent-ils ?
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que des microplastiques ont d’ores et déjà été retrouvés dans divers organes du corps humain – poumons, côlon, reins, testicules, placenta, cerveau. Ils circulent de l’un à l’autre via le sang, et remonteraient jusqu’au cerveau grâce aux nerfs olfactifs. Même les fœtus en contiennent. Les nouvelles générations baignent donc littéralement dans une « soupe de plastique » depuis leur vie in utero.
Quelles conséquences ont-ils pour notre santé ?
Les effets sont liés aux plastiques eux-mêmes, mais aussi aux additifs qu’ils contiennent, comme le bisphénol A, les PFAS, les retardateurs de flamme (PBDE), les phtalates (DEHP), etc. Ils peuvent induire divers troubles, confirmés ou soupçonnés mais encore mal connus faute d’études : risques accrus de retard de croissance du fœtus et du développement cognitif de l’enfant, de malformations génitales, d’endométriose du fait d’une action perturbatrice endocrinienne, risques accrus d’AVC ou d’infarctus, de diabète, d’obésité, de fausse couche, effets inflammatoires sur les appareils respiratoire et digestif, perturbation du microbiote intestinal, cancérogénicité… Le tableau est sombre !
Le coût financier de ces pathologies est monumental. Une étude publiée en 2024 a tenté de chiffrer l’impact cumulé de trois substances (le bisphénol A, le PBDE et le DEHP), uniquement aux États-Unis et seulement pour une partie des pathologies associées (baisses de performances cognitives de la population, maladies cardiaques, AVC, accroissement de la mortalité) : l’addition s’élève à 675 milliards de dollars pour l’année 2010 !
Comment limiter l’impact ?
« Le plastique ne coûte pas cher à fabriquer, mais il a un coût sociétal en termes de santé, sans compter son empreinte carbone et la pollution liée aux hydrocarbures », souligne Philippe Bolo, qui estime indispensable de s’en affranchir, au moins partiellement. En premier lieu, en « limitant les plastiques à usage unique et la pollution de l’environnement ». Adopter des bonnes pratiques individuelles est indispensable, mais l’impact global en est limité sans une action des pouvoirs publics. Lutter contre ce fléau à grande échelle passera donc par des mesures appliquées par l’ensemble des pays de la planète.
Un traité international de lutte contre la pollution plastique, sous l’égide de l’ONU, est en cours de négociation depuis 2022. La 5e et ultime phase de discussions s’est ouverte le 25 novembre à Pusan, en Corée du Sud, jusqu’au 1er décembre. Pour l’OPECST, il faut obtenir « un traité ambitieux qui impose des mesures sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques ». Un texte est sur la table, mais les négociateurs sont soumis à des vents contraires. Les pays producteurs de pétrole et les multinationales de la chimie font pression pour éviter tout engagement chiffré. De l’autre côté, l’Union européenne propose de réduire la production primaire de plastiques. Plus de 3 700 demandes de modifications du texte initial ont été notifiées, qui le rendent illisible… Il y a du pain sur la planche pour arriver à un consensus acceptable pour toutes les parties – et pour notre santé !
Une matière envahissante
Anthropocène ou « plastocène » ? Nous sommes indubitablement entrés dans la civilisation du plastique, dont des quantités pharaoniques sont fabriquées chaque année : 500 millions de tonnes en 2024, soit un doublement en 20 ans. Et ce n’est pas fini, puisque les prévisions tablent sur plus de 1 milliard de tonnes par an d’ici 2050 ! Par comparaison, l’humanité produit 10 milliards de tonnes de nourriture chaque année pour se nourrir.
Le tiers de ce plastique va dans les emballages à usage unique, principalement alimentaires, et 10 % dans les textiles synthétiques.
Avec les émissions considérables de gaz à effet de serre dues à l’extraction et la fabrication, les déchets sont l’autre problème majeur posé par cette matière. Plus de 360 millions de tonnes de plastique sont jetés chaque année dans le monde, dont une trop petite fraction, moins de 10 %, est recyclée. La France fait à peine mieux, puisqu’elle ne récupère que 17 % de ses 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques. On est encore loin de l’économie circulaire ! Le reste part en décharge (pour la moitié), est incinéré ou jeté dans la nature, où il se dégrade en microplastiques qui restent dans les sols ou ruissellent jusqu’à l’océan.
(1) Cet organe commun à l’Assemblée nationale et au Sénat a pour mission « d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique » en disposant d’une expertise pour éclairer des choix politiques de long terme.
(2) Procédé de raffinage du pétrole qui « casse » les grosses molécules complexes en molécules plus petites.