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Placements financiers frauduleuxDes régulateurs bien lents

Une série de scandales intervenus ces dernières années montre qu’il faut une année, voire plusieurs, pour que les administrations qui surveillent le secteur financier (Autorité des marchés financiers, Répression des fraudes, Autorité de contrôle prudentiel et de régulation) mettent un terme à des manquements pourtant flagrants.  

2010. Julien Serandrei-Revel se lance dans les affaires et s’improvise conseil en placement sous l’étiquette « Revel Groupe ».  Immédiatement, il suscite la méfiance des professionnels. Président de la Compagnie des conseils en gestion de patrimoine indépendants (CGPI), Jean-Pierre Rondeau rejette sa demande d’adhésion fin 2011. En septembre 2012, il alerte l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur le profil à risque du groupe Revel. En décembre 2012, Julien Serandrei-Revel est interpellé à son domicile parisien et mis en examen  pour « escroquerie en bande organisée », « exercice illégal de la profession de conseil en investissement financier », « abus de biens sociaux » et « contrefaçon de marque ». L’AMF met en garde sur son site contre le groupe Revel sept mois plus tard, le 16 juillet 2013, avec pondération : la société « n’est pas un prestataire de services d’investissement agréé ». Contraste total avec l’audace de Julien Serandrei-Revel. En novembre 2013, il atterrit en hélicoptère sur le site des Eaux de Vélines, à Montcaret (Dordogne). Mis en examen pour escroquerie, poursuivi par plusieurs anciens clients, probablement insolvable, il se présente comme le sauveur de cette usine d’embouteillage d’eau minérale, à l’arrêt depuis plusieurs années.

Février 2012. Fabrice Denizet, patron du courtier en placement DO Conseil, à Toulon, est écroué. Le « Petit Madoff du Var », comme il sera surnommé, a escroqué quelque 1 200 personnes en 13 ans pour plus de 30 millions d’euros. Sa fraude était un simple schéma de Ponzi, qui consiste à payer des dividendes aux premiers clients avec les dépôts des suivants, et ainsi de suite.

En novembre 2010, un avocat parisien, Me Frédérik A…, signale Fabrice Denizet à l’AMF. Il défendait une dame très âgée qui, selon ses proches, avait été escroquée par DO Conseil. L’affaire bascule alors dans le surréalisme.  Fabrice Denizet, au même moment, contacte  l’AMF afin d’obtenir un agrément pour devenir gestionnaire de fonds, et non plus simple courtier ! Les juristes de l’AMF rejettent la demande d’agrément dès avril 2011. Selon nos informations, ils trouvent le dossier franchement suspect et ne le cachent pas à leur hiérarchie. À la même époque, Me A… fournit à l’AMF des pièces supplémentaires accréditant l’escroquerie. L’AMF ne bouge pas. Elle laisse Fabrice Denizet préparer une nouvelle demande d’agrément et recruter de nouveaux clients, pendant encore des mois. C’est seulement fin janvier 2012 que l’AMF et l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) vont mener une opération commune de contrôle au siège de DO Conseil, quatre jours  après l’ouverture d’une instruction pénale sur plainte de la Société générale.

Février 2015. L’AMF requiert une amende de 350 000 € contre le courtier en vin 1855.com (rebaptisé Héraclès). La société ne risque guère de payer, elle est quasiment insolvable, après avoir fait des milliers de clients mécontents. L’AMF avait ouvert une enquête sur l’information financière diffusée par 1855.com en 2012. Le premier article de Que Choisir mettant en garde contre 1855.com date de 2007 ! Des sites et des revues spécialisés avaient lancé l’alerte avant nous, démontrant que 1855.com alignait des promesses de disponibilité et des tarifs irréels.

Octobre 2014. La brigade financière, qui enquêtait depuis cinq mois, fait une descente chez Aristophil,  courtier en lettres et manuscrits. Les collections et les comptes sont placés sous saisie, la société est mise en redressement judiciaire en février 2015. Quelque 17 000 investisseurs sont pris dans la nasse.  Cette fois, l’AMF avait tiré très tôt la sonnette d’alarme. Elle avait publié une mise en garde sur son site dès 2008, avant de la retirer. Les avocats d’Aristophil avaient fait valoir que la société, ne faisant pas formellement appel à l’épargne publique, n’entrait pas dans le champ de compétence de l’AMF ! Dans les années qui suivent, Aristophil démarche en toute tranquillité, malgré des failles béantes dans son modèle économique. Il faudra que la justice belge ouvre une enquête pour escroquerie fin 2012 pour que les autorités françaises réagissent.

2006. Des syndicalistes de Sud Caisses d’épargne alertent l’AMF, quand leur groupe  introduit en bourse sa filiale Natixis. Ils  signalent que l’information diffusée aux particuliers est trompeuse. Ils ont raison, mais ils ne seront pas entendus. Le placement Natixis a viré à la catastrophe pour 2,8 millions de petits épargnants.

L’UFC-Que Choisir l’a déjà expliqué, la justice a été incroyablement lente dans l’affaire Doubl’ô, un placement calamiteux proposé par les Caisses d’épargne, sur lequel la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait rédigé un rapport, remis au parquet de Paris en 2010. Dans le dossier Helvet Immo, une affaire de prêts en francs suisses, les avocats des milliers de victimes ne cachent pas leur agacement face au mutisme des pouvoirs publics, Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) en tête.

Sollicitées, l’AMF comme l’ACPR sont en mesure d’expliquer ces délais. Leurs procédures sont longues et minutieuses, ce qui est aussi un gage de sécurité. Elles n’ont guère de pouvoir de sanction immédiate et ne peuvent contraindre la justice. Si l’AMF lance l’alarme sur Aristophil et que le parquet ne suit pas, que faire ? Des régulateurs européens exotiques (Chypre, Malte…) accréditent des courtiers en ligne calamiteux. Nul ne peut leur interdire de démarcher en France tant qu’ils n’ont pas commis de délit, etc.  Arguments recevables mais qui, en définitive, reviennent à dire : si vous voulez lancer une escroquerie de grande ampleur en France, même peu sophistiquée, vous avez devant vous une année d’impunité, voire plusieurs, si vous avez les apparences de la respectabilité. Est-ce vraiment le message que souhaitent diffuser nos autorités de régulation et le Ministère de l’économie et des finances ? Dans le doute, un seul conseil : si une société financière a fait l’objet de la moindre mise en garde de la part de l’AMF, de la moindre enquête de la DGCCRF, passez votre chemin. Il n’y a pas d’exemple récent où les régulateurs seraient intervenus précipitamment.

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