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PFAS Le TFA pourrait rendre nos eaux potables non conformes

Le TFA fait partie des PFAS, ces polluants éternels préoccupants. Non réglementé à ce jour, il n’est pas rare qu’on le retrouve dans les eaux européennes, y compris de consommation. Une récente décision de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) pourrait faire évoluer la situation.

Le flufenacet, un herbicide qui se désagrège dans l’environnement en acide trifluoroacétique (TFA), est un perturbateur endocrinien. C’est la conclusion de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), publiée le 27 septembre 2024, le considérant à ce titre comme susceptible de perturber le système hormonal de l’homme et des mammifères sauvages. L’information est passée inaperçue. Elle est pourtant loin d’être anodine, souligne Générations Futures, association de défense de l’environnement.

Des évaluations qui traînent

Le flufenacet, principalement utilisé sur des cultures de céréales (blé et orge), est l’un des herbicides les plus vendus dans l’Union européenne (UE). En France, les ventes sont passées de moins de 100 tonnes en 2008 à 911 tonnes en 2022.

Pourtant, le flufenacet est dans une situation des plus paradoxales. Il avait été autorisé en 2004 pour une période de 10 ans qui a expiré fin 2013. Il était, depuis, en cours d’évaluation par les agences européennes en vue d’un possible renouvellement de son autorisation. En attendant, il a fait l’objet de 9 procédures de prolongation. Ce n’est donc que le 27 septembre dernier, avec 11 ans de retard, que l’Efsa a mis un point final à ce dossier en classant l’herbicide comme perturbateur endocrinien. Générations Futures y voit une première raison non négociable d’interdire immédiatement le flufenacet dans l’UE.

Un pesticide qui se dégrade en PFAS

Il y en a une deuxième. Une fois épandu, le flufenacet se désagrège petit à petit, dans l’environnement, en d’autres substances chimiques dont l’acide trifluoroacétique, plus connu sous le sigle TFA. Cette molécule fait partie de la vaste famille des PFAS, composés chimiques, synthétisés par l’homme à partir d’hydrocarbures et avec pour point commun d’être composés à base d’atomes de carbone et de fluor, reliés par des liaisons chimiques particulièrement stables. Une aubaine pour les industriels qui les utilisent depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, antitaches et résistantes aux chaleurs extrêmes.

Les pesticides PFAS, dont fait partie le flufenacet, ne sont qu’une de ces applications. Le revers de la médaille ? En raison de cette même stabilité de leurs liaisons carbone-fluor, ces PFAS sont aussi persistants, bioaccumulables et très difficiles à éliminer, d’où leur dénomination de « polluants éternels ». Ils s’accumulent ainsi depuis 70 ans dans l’environnement et, de facto, dans nos organismes, principalement via les aliments et l’eau qu’on ingère. Si nos connaissances restent limitées sur ces PFAS, des études convergent pour leur attribuer des effets néfastes sur la santé. Ils sont ainsi soupçonnés d’être cancérogènes (foie, reins), perturbateurs endocriniens, de favoriser l’obésité et le diabète, d’affecter la fertilité ou le développement du fœtus, etc.

Le TFA est l’un de ces polluants éternels aux effets sanitaires mal documentés et non réglementés à ce jour. En s’appuyant sur des études indiquant une toxicité du TFA sur le foie et la reproduction, l’Allemagne propose de classer cette molécule comme un reprotoxique probable pour l’homme, pouvant à ce titre altérer la fertilité de l’homme ou de la femme ou altérer le développement de l’enfant à naître.

Une requalification qui fait bouger les lignes

Une certitude, lorsqu’il est recherché, le TFA est régulièrement retrouvé dans les analyses d’eaux naturelles ou les eaux potables. Les sources d’émissions de ce PFAS sont multiples, mais la dégradation du flufenacet en est une majeure. Et connue depuis longtemps, dénonce Générations Futures qui fait référence aux modélisations réalisées dans le cadre du dossier d’évaluation du flufenacet par l’Efsa. « Celles-ci ont montré que la dégradation du flufenacet conduit, à de rares exceptions près, à des concentrations de TFA dans les eaux souterraines toujours supérieures à 10 microgrammes par litre (µg/l) », indique Générations Futures. Et rappelle que ces données sont dans le dossier d’évaluation du flufenacet depuis 2017 et que c’est la France, via l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a été chargée par l’Efsa, avec la Pologne, de conduire cette évaluation. « Ainsi, depuis plus de sept ans, l’Anses sait que l’usage de cet herbicide entraîne une contamination inacceptable par le TFA », s’insurge-t-elle. 

Cette requalification du flufenacet comme perturbateur endocrinien pourrait enfin faire bouger les lignes en forçant les autorités françaises à inclure le TFA à la liste des PFAS sous surveillance dans les eaux naturelles et potables. Jusqu’à, à terme, l’inclure systématiquement dans les molécules recherchées lors des contrôles sanitaires de l’eau potable en France. Ça va finir par arriver, parie Générations Futures, qui met en garde alors contre l’impasse réglementaire à venir.

Car il reste une question centrale : quelle limite de qualité réglementaire appliquer au TFA dans l’eau potable ? Tout dépend de la façon dont on classe le TFA : métabolite pertinent, c’est-à-dire potentiellement dangereux, ou simplement non pertinent.

Vers des eaux potables massivement non conformes ?

Si les autorités françaises appliquent bien la méthodologie d’évaluation proposée par l’Anses, il n’y a plus à tergiverser. Selon l’agence, dès lors qu’une substance active (ici le flufenacet) est un perturbateur endocrinien, alors « ses métabolites doivent être considérés par défaut comme pertinents ». Or, pour ceux-ci, la réglementation française prévoit une limite de qualité de 0,1 µg/l dans l’eau potable. En clair, si le TFA dépasse ce seuil, l’eau devrait être considérée comme « non conforme » à la norme de qualité. Et ça serait le cas pour une part très importante de l’eau potable en France, présage Générations Futures.

L’association s’appuie notamment sur les échantillons d’eau potable analysés par le réseau Pesticide Action Network (PAN) Europe dans une dizaine de pays de l’Union européenne, dont la France, entre mai et juin dernier. Cette limite de conformité de 0,1 µg/l était dépassée dans 86 % des cas et dans 3 échantillons d’eau testés dans l’Hexagone sur 4. Un taux de TFA de 2,1 µg/l a ainsi été retrouvé dans un échantillon d’eau du robinet prélevé à Paris, soit une teneur 20 fois supérieure au seuil de qualité. Dans un échantillon prélevé à Metz, on était à 0,5 µg/l. L’eau en bouteille n’est pas non plus épargnée. Sur 19 échantillons d’eaux en bouteille, des traces de TFA ont été retrouvées dans 12 d’entre eux. Certes, les teneurs moyennes retrouvées (278 ng/l) sont inférieures à celles de l’eau du robinet (740 ng/l). Tout de même, la plus haute concentration relevée sur ces 19 échantillons d’eaux minérales était de 3,2 µg/l. Bien au-dessus, donc, du seuil de 0,1 µg/l qui pourrait être retenu en France si le TFA est bien reconnu comme un métabolite pertinent du flufenacet.

Les producteurs d’eau potable confrontés à un dépassement de la limite de 0,1 µg/l pourront toujours demander aux préfets une dérogation, pour une durée maximale de 6 ans, leur permettant de distribuer une eau non conforme à la limite de qualité, précise Générations Futures. Mais à condition seulement qu’ils mettent en place des mesures visant à diminuer ces concentrations de TFA dans l’eau qu’ils distribuent. Or, les solutions techniques permettant d’éliminer les PFAS dans l’eau sont aujourd’hui loin d’être matures et dans tous les cas coûteuses et énergivores. Générations Futures y voit un argument de plus pour agir à la source sur cette pollution des eaux au TFA, en interdisant sans attendre, dans l’UE, le flufenacet.

Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

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