Fabrice Pouliquen
PFAS dans l’eau potableLa campagne de détection de Veolia rassurante mais insuffisante
La multinationale, qui gère la production et la distribution d’eau potable pour le compte de 1 400 collectivités en France, a mené une vaste campagne de détection des PFAS, ces substances chimiques considérées comme des polluants éternels, dans l’eau potable. Ses 2 400 puits de production ont été testés, 99 % seraient aux normes. Rassurant ?
C’est une étude d’une ampleur inédite sur la présence de PFAS dans l’eau potable. Ce mercredi, Veolia a communiqué les conclusions d’une campagne de détection de ces composés chimiques dans plus de 2 400 points de production d’eau potable que le groupe gère pour le compte de collectivités locales. Ils desservent au robinet plus de 20 millions de Français, soit un tiers de la population.
Les résultats se veulent rassurants. Veolia « peut attester de la conformité de l’eau potable au regard des normes PFAS pour plus de 99 % de ses points de prélèvement », écrit le groupe, sans toutefois donner le détail des résultats.
Polluants éternels
Les PFAS, appelés aussi polluants éternels, regroupent plusieurs milliers de composés chimiques : les perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés. Leur point commun : des liaisons chimiques carbone-fluor très stables. Un atout pour les industriels qui utilisent massivement les PFAS depuis les années 1950 pour leurs propriétés imperméabilisantes, résistantes à la chaleur, antiadhésives... On peut ainsi en trouver dans des poêles, des vêtements de sport, des emballages de fast-food, les mousses anti-incendie…
Mais en raison de cette même stabilité, les PFAS sont aussi persistants, bioaccumulables et très difficiles à éliminer, d’où leur dénomination de « polluants éternels ». Ils s’accumulent ainsi depuis 70 ans dans l’environnement et, de facto, dans nos organismes, principalement via les aliments et l’eau qu’on ingère, mais aussi l’air et les poussières que l’on inhale. Si nos connaissances restent limitées sur ces PFAS, des études convergent pour leur attribuer des effets néfastes sur la santé. Elles sont ainsi soupçonnées d’être nocives, cancérogènes (foie, reins), perturbatrices endocriniennes, de favoriser l’obésité et le diabète, d’affecter la fertilité ou encore le développement du fœtus.
La réglementation se durcit petit à petit
Petit à petit, la réglementation se durcit, notamment en ce qui concerne la surveillance des PFAS dans l’eau potable. Via sa directive-cadre sur les eaux destinées à la consommation humaine du 16 décembre 2020, l’Union européenne a défini deux teneurs maximales à respecter sur les eaux potables sur lesquelles s’appuyer :
- soit ne pas dépasser 0,10 μg/l (microgramme par litre) pour la somme des 20 PFAS définis comme les plus préoccupants (1) ;
- soit ne pas dépasser 0,50 μg/l pour le total des PFAS trouvés.
Aux États membres, ensuite, de transposer cette directive dans leurs droits respectifs. Ce qu’a fait la France, en décembre 2022, en retenant la première limite de qualité (0,10 μg/l pour les 20 PFAS). À partir de 2026, les autorités sanitaires auront pour obligation d’intégrer systématiquement la détection de ces 20 PFAS dans leurs contrôles de qualité de l’eau potable.
Une dizaine de puits fermés par Veolia
Avec cette campagne de détection, Veolia anticipe donc cette évolution réglementaire. « L’enjeu était de faire un état des lieux de la présence des 20 PFAS dans nos points de production et réagir là où les limites de qualité ont été dépassées », explique Anne du Crest, directrice des opérations pour Veolia Eau France. C’est le cas d’une vingtaine de points de production parmi les 2 400 analysés. Veolia ne communique pas ces points problématiques, ni les quantités exactes de PFAS qui y ont été retrouvées. Mais le groupe assure avoir abandonné ces puits contaminés lorsque l’utilisation d’autres ressources à proximité était possible. « Cela concerne environ la moitié de cette vingtaine de sites », indique Anne du Crest. « Quoi qu’il en soit, sur tous ces sites dépassant les limites, des recherches sont en cours pour trouver le plus rapidement possible la source de cette pollution lorsqu’on ne la connait pas et les solutions de dépollution les plus adaptées ont été proposées aux collectivités », ajoute-t-elle. Pour ces dernières, Anne du Crest fait référence aux techniques déjà éprouvées par Veolia « à partir de charbon actif ou, pour les cas plus complexes, de techniques membranaires haute performance ».
Le risque de passer à côté de contaminations ?
La très grande majorité des 2 400 échantillons analysés s’est révélée conforme aux normes réglementaires. « Pour plus de la moitié d’entre eux, même, nous n’avons trouvé aucune de ces 20 molécules », précise Anne du Crest. Mais est-ce vraiment rassurant ? Pierre Labadie, chercheur en chimie environnementale au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rappelle que la réglementation en France pour les PFAS dans l’eau potable ne se concentre que sur 20 d’entre eux, « quand il en existe plusieurs milliers ». Et de préciser : « On peut comprendre ce focus, ne serait-ce que pour des questions de faisabilité. D’ailleurs, ces 20 composés sont parmi ceux que l’on retrouve le plus souvent dans les échantillons que nous analysons, concède-t-il. Il n’empêche qu’on a qu’une vision partielle du problème et on peut passer à côté de contaminations à d’autres PFAS, plus singulières, liées à une source locale de contamination. »
Un grand absent : le TFA
François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, pointe ainsi un grand absent dans la campagne de détection de Veolia : l'acide trifluoroacétique ou TFA. En février dernier, l’association de défense de l’environnement avait trouvé des concentrations très élevées de ce PFAS dans les cours d’eau près de la plateforme chimique de Salindres (Gard) sur laquelle se trouve une usine du groupe Solvay, l’un des cinq sites de production de PFAS en France (2). « Mais si on est ici sur un cas de pollution très locale, on sait aussi que certains pesticides fluorés utilisés en agriculture se dégradent petit à petit en TFA, explique François Veillerette. C’est une autre source de pollution majeure à ce polluant éternel et à laquelle, ce coup-ci, tout le territoire est exposé. »
Mi-juillet, une étude menée par le Réseau européen d’action contre les pesticides (PAN Europe) – dont Générations Futures fait partie ‒ avait ainsi mis en évidence des concentrations importantes de TFA dans l'eau du robinet et l'eau en bouteille de 11 pays européens, comme la France, l'Allemagne, la Belgique ou l'Espagne. « Nous avons notamment trouvé des concentrations de 2 μg/l dans l’eau du robinet à Paris et de 0,5 μg/l à Metz », illustre François Veillerette qui évoque d’autres séries d’analyses en cours.
« Faire l’impasse aujourd’hui sur le TFA, c’est passer complètement à côté du sujet », estime alors le porte-parole de Générations Futures. S’il ne fait pas l’objet d’une surveillance particulière en France, l’Allemagne a annoncé fin décembre 2023 qu’elle déposerait un dossier auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) en vue de classer le TFA en tant que reprotoxique (pouvant altérer la fertilité de l’homme ou la femme ou altérer le développement de l’enfant à naître). À l’Echa de trancher désormais. Actuellement, il n’existe aucune limite légale dans l’UE pour les TFA dans les eaux de surface, les eaux souterraines ou l’eau potable.
(1) Liste disponible dans l’Arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine.
(2) Générations Futures avait trouvé des concentrations de TFA de 7,6 μg/l au rejet de l’usine, dans le cours d’eau de l’Arias et encore 3,9 μg/l à 2 kilomètres de là au confluent de l’Avène. L’ONG avait aussi mesuré des taux de 18 μg/l et 19 μg/l dans l’eau du robinet des villages de Moussac et de Boucoiran-et-Nozières, pourtant situés à plus de 20 kilomètres du pôle chimique. Ces concentrations sont 36 et 38 fois supérieures à la norme européenne de 0,5 μg/l à ne pas dépasser pour la somme totale des PFAS trouvés dans un échantillon.