Elsa Abdoun
La liste des maladies qu’ils provoquent s’allonge
Cancers, Parkinson, mais aussi troubles cognitifs, maladies respiratoires… Les conclusions d’un rapport d’expertise sur les effets des pesticides sur la santé s’avèrent particulièrement inquiétantes.
C’était un rapport très attendu. Mercredi 30 juin, après plusieurs années de travail et plus de 5 300 publications scientifiques analysées, le comité d’experts nommé par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a rendu ses conclusions sur les effets des pesticides sur la santé. Un travail de référence dont la précédente version, publiée en 2013, avait permis l’ajout du lymphome non hodgkinien (un cancer du sang) à la liste des maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides.
Huit ans plus tard, le dossier contre ces produits s’est encore alourdi. Aux quatre pathologies pour lesquelles existait déjà une présomption forte de lien avec l’exposition aux pesticides sont venues s’ajouter six autres. Maladie de Parkinson, lymphome non hodgkinien, myélome multiple (un autre cancer du sang) et cancer de la prostate sont à présent rejoints par les troubles cognitifs, la BPCO (une pneumopathie chronique), la bronchite chronique, mais aussi, chez les enfants des femmes exposées durant la grossesse, les troubles neurodéveloppementaux, les leucémies et les cancers du système nerveux central.
Agriculteurs, enfants et riverains en première ligne
Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là, puisqu’une présomption « de niveau moyen » concernant un effet des pesticides (ou au moins de certains d'entre eux) est également relevée pour neuf grands autres types de pathologies : les troubles anxiodépressifs, la maladie d’Alzheimer, l’asthme et les sifflements respiratoires, les pathologies thyroïdiennes, la leucémie chez l’adulte et enfin les cancers du sein, de la vessie, du rein, des tissus mous et des viscères.
Les liens les plus clairement démontrés l’ont été, la plupart du temps, chez des agriculteurs et autres professionnels manipulant des pesticides dans leur travail, puisqu’ils sont à la fois les plus exposés et les plus étudiés. Viennent ensuite les femmes contaminées durant la grossesse – car le fœtus est particulièrement sensible aux effets des toxiques – ainsi que les adultes riverains des champs ou utilisant des pesticides à domicile.
Pour le reste de la population, les effets de la pollution de l’eau, de l’air et des aliments par les résidus de pesticides sont malheureusement très peu étudiés, car « les doses auxquelles la population est exposée sont difficiles à quantifier », justifie Xavier Coumoul, toxicologue et co-auteur du rapport d’expertise. Malgré cette difficulté, plusieurs effets possibles sont mentionnés dans le rapport, et en particulier le lien – avec un niveau de présomption fort – entre exposition au chlordécone et cancer de la prostate dans la population antillaise.
Des centaines de molécules
Ce pesticide, comme plusieurs autres pointés du doigt dans ce travail scientifique, contamine encore aujourd’hui l’environnement, malgré son interdiction depuis de nombreuses années. Et à ses côtés figurent des produits toujours autorisés, tels que le glyphosate (voir encadré), les pyréthrinoïdes ou encore le chlorpyrifos. Mais pour Isabelle Baldi, épidémiologiste et co-auteur du rapport, « se focaliser sur certaines molécules est une erreur ». « Ce n’est pas en interdisant quelques molécules qu’on va régler les problèmes », abonde Xavier Coumoul, selon qui les scientifiques ne sont de toute façon pas capables de s’assurer de l’innocuité de chaque produit : « des centaines de molécules sont sur le marché, alors qu’il n’y a que très peu de laboratoires de toxicologie en France… On est noyés », confie le toxicologue.
Les auteurs semblent donc plaider pour une approche plus systémique du problème, notamment lorsqu’ils rappellent les risques indirects que ces produits font peser sur la santé humaine « par le biais des effets sur les écosystèmes ». Et de rappeler, en conclusion, la nécessité d’une « meilleure protection des populations ».
Glyphosate : faut-il croire les agences sanitaires ?
« Présomption moyenne de risque accru de lymphome non hodgkinien » : cette conclusion des experts au sujet du glyphosate, noyée au milieu de dizaines d’autres pesticides et de dizaines d’autres effets, pourrait presque passer pour anecdotique. Il n’en est rien. Car derrière la question de la cancérogénicité de cet herbicide, véritable best-seller de l’industrie agrochimique, se cache en réalité la question de la fiabilité du travail des agences sanitaires européennes, censées garantir l’innocuité des très nombreux produits mis sur le marché. Or, depuis plusieurs années, ces agences persistent à conclure à l’absence de cancérogénicité du glyphosate, malgré sa qualification de cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé en 2015. Les experts de l’Inserm, en confirmant que des arguments sérieux suggèrent un effet cancérogène de ce produit, mettent donc toujours plus en doute la fiabilité des conclusions des agences sanitaires. Concernant le glyphosate, bien sûr, mais aussi des centaines d’autres produits.