Elsa Casalegno
Pénurie d’huile de tournesolDistributeurs et fabricants ne jouent pas le jeu de l’information claire
En raison de la pénurie actuelle d’huile de tournesol, les recettes de nombreux produits ont été modifiées. Les fabricants s’étaient engagés à informer les consommateurs de ces changements. Or, presque deux tiers d’entre eux se contentent d’une vague mention « DEROG » pour indiquer la substitution de l’huile de tournesol par une autre huile, et la même proportion de distributeurs n’affichent pas l’information pour leurs clients, selon notre enquête.
L’accord entre les fabricants, les distributeurs et les associations de consommateurs – parmi lesquelles l’UFC-Que Choisir –, sous l’égide du ministère de l’Économie, était pourtant clair : les changements de recettes imposés par la pénurie d’huile de tournesol, du fait de la guerre en Ukraine, devaient être clairement indiqués aux consommateurs lors de l’achat. Et pour cela, Bercy demandait aux distributeurs « de faire preuve d’imagination ». L’UFC-Que Choisir a envoyé ses enquêteurs vérifier si le « deal » était respecté dans quelque 246 points de vente de 45 départements. Résultat, ce n’est pas le cas dans la grande majorité des magasins.
Trop peu d’affichage à l’accueil…
En effet, 61 % des grandes surfaces visitées n’ont pas accroché d’affichage au niveau de l’accueil du magasin – ce chiffre monte à 68 % pour les supérettes. Le plus mauvais élève est le groupe Intermarché, dont 92 % des magasins n’arborent aucune information ! Le meilleur, Cora, compte tout de même un tiers de récalcitrants.
Encore faut-il que cette information, quand elle est présente, soit visible des clients : dans 9 cas sur 10, il s’agit d’un affichage au format A4 (le format standard d’une feuille de papier). Les responsables se contentant dans la plupart des cas d’imprimer, en noir et blanc, la note informative élaborée par la DGCCRF. Concernant l’information, les distributeurs manquent cruellement d’imagination…
… et encore moins dans les rayons concernés
Mais peut-être les modifications de recettes sont-elles signalées directement dans les rayons concernés par la pénurie d’huile de tournesol ? Hélas, encore moins : 81 % n’en font aucune mention. Pourtant, les produits touchés sont nombreux, et fréquemment achetés : poissons panés, nuggets et cordons bleus frais et surgelés (78 à 87 % des rayons sans aucun affichage) ; lasagnes, cannellonis et raviolis frais, surgelés ou en conserve (79 à 82 %) ; sardines à l’huile et sauces diverses (79 %) ; biscuits et gâteaux (75 %)…
Autant d’enseignes (81 %) omettent également l’affichage en caisse. C’est même 100 % chez Intermarché ! Quand cet affichage est présent, il est là encore au format A4 dans 2 cas sur 3, trop peu visible quand on ne le cherche pas spécifiquement.
Un elliptique « DEROG » sur les emballages
Quant à l’information fournie par les fabricants, elle est, elle aussi, souvent minimaliste. Presque deux tiers d’entre eux (64 %) se contentent d’indiquer « DEROG » sur leur produit, d’après notre enquête. Certes, les industriels ne sont pas en infraction, puisque cette mention est admise par la DGCCRF. Elle n’en traduit pas moins une absence d’efforts pour la bonne information du consommateur. Ainsi, la marque d’huiles de cuisine Fruit d’Or s’en contente, en expliquant qu’elle fournit l’information sur son site Internet. De nombreuses autres marques ne sont pas plus précises, à l’instar de Marie, Le Gaulois, Banania, Amora… Du côté des marques de distributeur (MDD), les résultats ne sont guère meilleurs, puisque 62 % se contentent également de la mention DEROG. Intermarché fait mieux que les autres, à l’inverse de l’affichage : 49 % seulement de ses produits en restent au DEROG, les autres mentions étant plus explicites, comme « DEROG : tournesol > colza ». Le plus mauvais élève est le groupe U, avec 89 % de « DEROG » basique sur ses produits, suivi de Cora et Casino. Pourtant, ils pourraient faire mieux.
En effet, quelques marques indiquent explicitement quels sont le substituant et le substitué, parfois avec une phrase entière ! Qu’il s’agisse de MDD ou de marques nationales, d’ailleurs. Ainsi, Tipiak, pour ses Céréales à l’indienne, écrit « DEROG contient huile de colza » dans le pavé de datage au jet d’encre, d’après sa demande de dérogation adressée à la DGCCRF (1). Certains produits Connétable ou Pointe de Penmarc’h (mais pas tous) affichent « Derog huile : tournesol remplacé par colza ». D’autres mentionnent plus succinctement « tournesol > colza » ou encore « huiles (tournesol, colza) »… Le plus élégant ? On le trouve chez Casino, dont les beignets de calamar à la romaine mentionnent « L’huile de tournesol est remplacée par l’huile de colza » dans le pavé blanc comportant la date limite de consommation !
Excepté ces quelques bons élèves, on peut regretter une mauvaise volonté générale vis-à-vis de la transparence de l’information due aux consommateurs. D’autant que l’huile de tournesol, aux teneurs en acides gras relativement équilibrées, est parfois remplacée par de l’huile de palme ou de coco, très riches en acides gras saturés, moins bonnes pour la santé. Avec comme conséquence une dégradation de la qualité nutritionnelle du produit. Nous avons pallié cette lacune en vérifiant l’évolution du Nutri-Score de quelques produits. Cette information est pourtant elle aussi facile à donner, puisque de petites marques le font, à l’instar de Pierre Clot, qui précise sur son parmentier de canard « derog tournesol - > palme ; Nutriscore D - > E ».
La moutarde, une denrée rare
Le tournesol et la moutarde, deux condiments largement utilisés dans la gastronomie hexagonale, ne sont plus produits en assez grande quantité sur le sol français. C’est l’une des surprises de la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie : tout le monde a découvert que l’approvisionnement de nos industries agroalimentaires en huile de tournesol et en graines de moutarde (1) provenait en partie d’Ukraine, un circuit mis à l’arrêt par la guerre.
Ce déficit se ressent finalement assez peu dans les rayons d’huile alimentaire des grandes surfaces, avec seulement 8 % de rayons entièrement vides et 20 % aux trois quarts vides dans les magasins, selon les observations de nos enquêteurs. En revanche, la moutarde est devenue une denrée rare, avec 65 % de rayons entièrement vides !
(1) Une partie des graines de moutarde consommées en France sont importées d’Ukraine, mais surtout du Canada, premier exportateur mondial, dont la récolte 2021 a été amputée par la sécheresse qui a sévi dans le pays l’an dernier.
(1) Les demandes de dérogation des fabricants sont accessibles sur le site de la DGCCRF. Les exemples d’affichages mentionnés dans l’article sont tirés de cette liste.
Sandrine Girollet
Observatoire de la consommation