Perrine Vennetier
ParacétamolEst-il un perturbateur endocrinien ?
Médicament le plus consommé en France, le paracétamol est soupçonné d’avoir un effet néfaste sur notre système hormonal. L’importance de cette « perturbation endocrinienne » suscite des controverses scientifiques qui éclairent la difficile appréciation à la fois de ce risque et de sa communication.
Alerte ! En décembre 2021, paraissait dans la revue Nature Reviews Endocrinology un article alarmant sur l’usage du paracétamol pendant la grossesse. « Un nombre croissant de données de recherches expérimentales et épidémiologiques suggèrent que l’exposition au paracétamol altérerait le développement du fœtus, ce qui pourrait augmenter le risque de troubles neurodéveloppementaux, reproductifs et urogénitaux », expliquaient des chercheurs internationaux. Sous ces apparences mesurées, cette phrase retentit comme une déflagration. Elle désigne le paracétamol (Doliprane, Efferalgan…), l’antidouleur de référence, massivement consommé et jugé extrêmement sûr pour les femmes enceintes, comme un perturbateur endocrinien.
Un perturbateur endocrinien est une substance qui dérègle le fonctionnement hormonal (ou endocrinien) du corps et, de ce fait, cause des effets néfastes sur la santé. Les plus évidents sont ceux liés aux hormones sexuelles : malformation du système reproducteur, puberté précoce, infertilité, cancers hormonodépendants, etc. Mais ils se manifestent aussi par des troubles de la glycémie, des atteintes auto-immunes, de l’asthme ou encore des troubles cognitifs ou comportementaux.
Des substances chimiques utilisées dans les plastiques, comme les bisphénols ou les phtalates, sont officiellement reconnues aujourd’hui comme perturbateurs endocriniens. Des produits d’origine naturelle, comme certaines huiles essentielles, le sont aussi. Plusieurs classes de médicaments ont des effets perturbateurs endocriniens avérés (voir encadré).
Un risque non prouvé
Chez les enfants exposés in utero au paracétamol, les effets suivants ont été évoqués : cryptorchidies (problème de descente des testicules), asthme, troubles du développement, etc. La plupart ont été observés en laboratoire sur des animaux. « Mais chez eux, les effets et l’élimination du paracétamol sont différents de chez l’humain », relativise Séverine Mazaud-Guittot, chargée de recherches en biologie du développement et toxicologie à Rennes. Les inquiétudes émanent aussi d’études consistant à croiser les données de santé des enfants et leur exposition prénatale. Mais cela ne permet pas d’affirmer une causalité. Par exemple, on sait que certaines maladies infectieuses ont un effet néfaste sur le développement des fœtus. Si une mère prend du paracétamol en raison de cette maladie, qui est en cause ? À ce jour, l’effet perturbateur endocrinien du paracétamol n’est pas formellement démontré.
Débanaliser sans dramatiser
Sur cette base incertaine, les appréciations divergent. Lors d’une étude sur le déclin de la production de spermatozoïdes, publiée dans un journal environnemental, le paracétamol était classé parmi les principaux perturbateurs endocriniens. Dans la sphère médicale, on est plus circonspects. Des désaccords se sont manifestés après l’alerte de Nature Reviews. Ils pointaient le caractère peu probant des données et le risque d’alarmer à tort les patientes, avec celui qu’elles se tournent vers des médicaments plus nocifs. C’est vrai, ont reconnu les donneurs d’alerte, que les preuves ne permettent pas de conclure, mais elles justifient qu’on débanalise l’usage du paracétamol, trop considéré comme un produit anodin et non comme « un vrai médicament avec de potentiels effets indésirables ». Alerter sans proscrire, donc. Car « le paracétamol reste le premier choix contre la douleur et la fièvre chez la femme enceinte », dit le Dr Olivier Puel, de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux. Mais il doit n’être pris qu’à « la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte ». Là-dessus, tout le monde est d’accord.
Le terrible précédent du Distilbène
Beaucoup de médicaments ont un effet sur le système hormonal. Parfois il est recherché, par exemple pour remplacer les hormones naturelles (lévothyroxine). Quand les effets sont indésirables, on parle de perturbateurs endocriniens. L’exemple le plus grave est celui du Distilbène. Prescrit aux femmes enceintes dans les années 1950-1970 pour éviter les fausses couches, il provoqua chez leurs filles des malformations, des infertilités et des cancers. D’autres médicaments ont aussi des effets perturbateurs endocriniens avérés. Les corticoïdes provoquent des hyperglycémies. Certains antidouleurs opioïdes entraînent des hypoglycémies. Les traitements hormonaux de la ménopause favorisent les cancers du sein. La Dépakine (acide valproïque) entraîne, probablement par cet effet, des troubles du développement neuropsychique.