Elsa Casalegno
Panier anti-inflation de CarrefourDes collants et un cintre contre l’inflation
Depuis janvier, Carrefour propose une liste de « produits essentiels à prix bloqué ». Si les tarifs des produits alimentaires et d’hygiène qui y figurent sont effectivement stabilisés, la sélection comporte aussi des produits qui n’ont rien d’essentiel pour les consommateurs. Ce panier anti-inflation semble, avant tout, un moyen pour mettre en avant les marques propres du distributeur.
Avec Carrefour, on lutte contre l’inflation grâce à… un cintre « en plastique recyclé », des collants « voile rose » ou encore un sèche-cheveux « compact » ! Le distributeur propose 139 « produits essentiels à prix bloqués » pendant 100 jours, depuis le 1er janvier, en guise de panier anti-inflation. Mais sa notion d’« essentiel » peut prêter à rire. Passe encore sur les quatre paires de chaussons et les slips qui figurent dans la liste. Mais le grille-pain, les écouteurs intra-auriculaires ou la capsule de recharge de CO2 peuvent-ils prétendre à ce titre, sans même parler du cintre ?
Mettre en avant les marques propres…
Pour les distributeurs, ces opérations de panier anti-inflation ‒ ou de « trimestre anti-inflation », pour reprendre les mots de Bruno Le Maire ‒ sont avant tout une opportunité pour mettre en avant leurs marques de distributeur (MDD). Ainsi, Intermarché aligne 500 produits, tous siglés de ses propres marques (par exemple Bouton d’Or, Chabriou, Monique Ranou, Jean Rozé, Paquito, Pâturages ou encore Planteur des Tropiques). Parfois au risque d’aboutir à des sélections surprenantes. Ainsi, Système U propose dans son panier des salsifis en conserve ; pas sûr que ce légume figure dans le top 10 des achats en période de crise, mais au moins c’est un choix diététique !
… quel que soit l’intérêt de la sélection
Même acrobatie pour Carrefour : dans sa modeste liste de 139 produits anti-inflation ‒ rappelons qu’un supermarché propose plusieurs milliers de références, et un hypermarché, plusieurs dizaines de milliers ‒ quasiment tous sont ses MDD : Simpl ou Carrefour pour l’alimentaire, Tex pour les textiles, Bluesky pour le petit matériel électroménager, Poss pour l’électronique ou encore Nalk and Rey pour « l’électrobeauté » (rasoirs, sèche-cheveux, lisseurs ou boucleurs, tondeuses, etc.).
Sur ces 139 références, on compte seulement 70 références alimentaires et 30 d’hygiène-droguerie. Les 39 autres produits se partagent entre textile, petite papeterie et petit équipement électroménager et bureautique, dont certains ne sont pas des achats indispensables en période de crise. Mais la sélection de produits alimentaires et d’hygiène n’est pas non plus vraiment satisfaisante. Ainsi, Carrefour propose des couches pour bébé tailles 3 et 5, mais pas 1, 2 et 4, 2 bières (dont une ultra-forte), 7 jus de fruits et sodas, 5 desserts (biscuits, glace, flan, etc.), mais un seul type de pâtes. Surtout, il n’y a aucune offre en riz, huile ou moutarde, qui figurent parmi les aliments ayant subi la plus forte inflation depuis 1 an ! Soulignons néanmoins que 4 fruits et légumes frais ‒ tomates cerises, poivrons, oranges et citrons ‒ sont dans le panier, même s’il ne s’agit pas de produits de base, comme les oignons, les carottes ou les pommes.
Prix bloqués depuis le début de l’année, mais pas avant
Le distributeur s’était engagé à bloquer les prix de ces produits du 31 décembre 2022 au 7 mai 2023. Nous avons vérifié ce qu’il en était pour 74 produits de grande consommation (alimentaires et hygiène-droguerie). À ce jour, la promesse est tenue : leurs tarifs ont même reculé de 0,2 % en moyenne par rapport à février. Pour autant, ils ont subi une forte inflation auparavant, et sont en hausse de 10,2 % sur 1 an. Surtout, c’est un engagement qui ne coûte pas cher : sur la centaine d’euros que dépense chaque semaine un ménage en grande surface, seulement 20 à 30 % sont des MDD. Un recul des prix de 0,2 % sur cette part d’achats représente 5 centimes, à condition d’avoir mis dans son caddie les produits figurant sur cette liste !
La communication gouvernementale sur le panier anti-inflation offre donc surtout l’opportunité à Carrefour et ses concurrents de mettre en avant leurs propres marques, en faisant un effort financier minime.
Un label sans contraintes en cadeau à la grande distribution
Lors d’une conférence de presse commune avec la grande distribution, lundi 6 mars 2023, Bruno Le Maire a annoncé l’abandon du projet de « panier anti-inflation » encadré par le gouvernement, remplacé par un « trimestre anti-inflation ». Il laissait ainsi la main aux distributeurs pour lutter contre l’inflation, selon leurs propres stratégies commerciales. Cette communication gouvernementale, associant uniquement les grandes enseignes, laisse penser que les solutions à l’inflation passent par la grande distribution. Les petits commerçants apprécieront.
Le ministre de l’Économie a aussi offert un bel emballage pour ce cadeau : un « label anti-inflation ». Ce logo tricolore représentant un caddie pourra être apposé sur les produits dont « les prix seront les plus bas possible grâce à l'effort fait par les distributeurs », a assuré Bruno Le Maire. Mais impossible de trouver le moindre cahier des charges listant les critères de ce label !