Camille Gruhier
La justice européenne écarte la pratique déloyale
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés ne constitue pas une pratique commerciale déloyale. Tant pis si le consommateur ne peut ni choisir librement son système d’exploitation, ni contester la présence non sollicitée des multiples logiciels. Un revers pour les défenseurs du logiciel libre, une déception pour l’UFC-Que Choisir.
Le débat est clos, la justice européenne vient de trancher (1). La vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés ne constitue pas une pratique commerciale déloyale. Communiquer un prix global sans détailler le prix de chacun des logiciels préinstallés ne constitue pas non plus une pratique commerciale trompeuse. Le consommateur souhaite utiliser son nouvel ordinateur avec un système d’exploitation basé sur Linux, comme Ubuntu ou Mint ? Il paiera tout de même pour Microsoft Windows. Il déplore la présence de multiples logiciels qu’il n’a pas choisis, pour graver des DVD, accéder au cloud du constructeur ou encore lire des pdf ? Tant pis, il devra composer avec les partenariats commerciaux de son hôte, et les désinstaller lui-même. L’opération n’est d’ailleurs pas toujours évidente pour un néophyte (la désignation dans la liste des logiciels installés n’est pas toujours explicite et les logiciels doivent être désinstallés un par un). Les défenseurs du logiciel libre sont déçus, l’Aful (Association française des utilisateurs de logiciels libres) est même résignée. « L’Aful se bat sur le sujet depuis plus de 18 ans. Ces actions judiciaires ont pratiquement ruiné l’association. C’était là notre dernier tir judiciaire », explique son président Laurent Séguin. L’UFC-Que Choisir se désole aussi, depuis des années qu’elle milite pour l’interdiction de ces ventes subordonnées. Les verdicts contradictoires qui ont ponctué le combat juridique mené par l’association pointent d’ailleurs la complexité de trancher la question.
Le consommateur était « dûment informé »
La récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) conclut une affaire vieille de plusieurs années. En 2008, Vincent Deroo-Blanquart saisit la justice française pour obtenir de Sony le remboursement des logiciels préinstallés sur son ordinateur tout neuf (notamment Windows Vista édition Home Premium). Débouté par le tribunal d’Asnières puis par la cour d’appel de Versailles, ce consommateur se pourvoit en cassation dans l’espoir d’obtenir gain de cause. Incapable de trancher, la Cour de cassation choisit alors en 2015 d’interroger la Cour européenne, dont les jugements font autorité. Les questions portent précisément sur l’interprétation des articles 5 (pratiques commerciales déloyales) et 7 (omissions trompeuses) de la directive européenne relative aux pratiques commerciales. La CJUE a considéré que le consommateur était dûment informé de l’offre conjointe, et que le prix global du produit (PC et logiciels) était une « information substantielle ». Suffisante, en d’autres termes.
Des enjeux économiques trop importants
Maître Cuif, qui a défendu M. Deroo-Blanquart, s’insurge bien sûr de cette décision. Dans un article publié sur son site Internet (2), l’avocat ne mâche pas ses mots. « Ce problème renvoie les juges à leur méconnaissance des méthodes actuelles de vente ; ils sont tellement formatés à Windows qu’ils ne voient même plus qu’ils payent des logiciels. En étant moins politiquement correct, je dirais que tout cela est un problème de lobbying et que la CJUE craint tout simplement les conséquences de l’interdiction de la pratique des OS préchargés telle qu’elle est pratiquée actuellement. » Les enjeux économiques sont en effet importants. Les accords entre Microsoft et les fabricants de PC constituent une source de financement importante pour des PC à la rentabilité aujourd’hui désastreuse, notamment sur le segment d’entrée et de moyenne gamme. Sony a cédé sa branche d’ordinateurs Vaio en février 2014, suivi de Samsung quelques mois plus tard et de Toshiba en février 2016. L’époque voudrait que fabricants de matériel et éditeurs de logiciels revoient plutôt leurs modèles économiques. Ce débat sur la vente liée n’est d’ailleurs pas vraiment clos : il se pose désormais aux tablettes tactiles et aux smartphones, systématiquement vendus avec le système Android de Google ou avec l’iOS d’Apple.
(1) CJUE, arrêt du 7 sept. 2016, Vincent Deroo-Blanquart c. Sony Europe Limited, aff. C-310/15
(2) https://cuifavocats.com/logiciels-precharges-la-cjue-se-decredibilise/