Arnaud Murati
Moteurs Renault défectueuxDénégations en série devant la cour d’appel
L’avocat du groupe Renault s’est livré à un numéro d’équilibriste devant la cour d’appel de Versailles : il s’agissait de convaincre la présidente du tribunal que les problèmes des moteurs 1.2 TCe défectueux avaient été corrigés dès 2015. Une note interne à Renault et un document judiciaire prouvent pourtant qu’il n’en est rien.
Suant à grosses gouttes, poussant un chariot de cartons remplis de milliers de pages, l’avocat du groupe Renault, Thomas Rouhette, n’a pas manqué d’ajouter un brin de théâtralité à son audition par la cour d’appel de Versailles le 29 novembre. Renault avait en effet fait appel d’une décision du tribunal qui lui avait ordonné, le 14 mars dernier, de livrer tous les documents afférents aux problèmes de surconsommation d’huile et de casses vus sur le bloc 1.2 TCe code « H5F ». Révélé par Que Choisir au printemps 2019, le manque de fiabilité chronique de ce moteur a touché tellement d’automobilistes que certains d’entre eux ont décidé de porter l’affaire en justice : plus de 2 500 plaignants ont à ce jour rejoint l’action entreprise par l’avocat Christophe Lèguevaques. Il faut dire qu’environ 400 000 Renault, Dacia, Nissan et Mercedes sont potentiellement concernées par ce problème en Europe.
« Plus de problèmes depuis 2015 »
Une demi-heure durant, l’avocat du groupe Renault a donc nié : « C’est typiquement l’exemple du mauvais procès », a-t-il annoncé en préambule, précisant même qu’une telle affaire « choque les salariés de Renault ». Et d’entrer ensuite dans le vif du sujet : « Renault a eu un problème de qualité et l’a traité techniquement et financièrement », a affirmé l’avocat, arguant que dès juin 2015, le souci avait été identifié et résolu par Renault. Il faut savoir que le moteur incriminé a été produit de 2012 à 2018. En 2015, Renault avait effectivement déclenché une « task force » : une équipe avait rapidement été montée afin de solutionner les problèmes de surconsommation d’huile et de casses dont faisait état le réseau de distribution en Europe. Cette équipe d’ingénieurs du groupe Renault avait décidé d’effectuer une recalibration des paramètres d’injection afin de corriger le défaut : « Ce calibrage à parfaire, on l’a parfait, le reste, c’est pour faire le buzz », a ajouté maître Rouhette, martelant à nouveau quelques instants plus tard qu’il n’y a « plus de problème depuis 2015 ».
Une note interne au groupe Renault, baptisée « Actis 35426 » et rédigée en mars 2017 (puis mise à jour en mars 2018), tend pourtant à prouver que les recalibrations d’injection n’ont pas eu l’effet escompté. Sur les Clio, Dokker, Captur, Kangoo, Kadjar, etc. produits pour la plupart jusqu’en 2018, la solution proposée en après-vente sur les engins défectueux est encore et toujours de recalibrer l’injection… Ce qui n’avait pas été fait en série dès 2015 ? D’autre part, le tribunal de Nanterre a rendu, en janvier 2022, un jugement tout à fait intéressant. Un client de Renault, acquéreur d’une voiture neuve, s’était aperçu d’une surconsommation d’huile dès les premiers mois d’utilisation du véhicule : « Le 21 décembre 2018, M. X. s’est rendu auprès d’un concessionnaire Renault afin de procéder à la mise à jour des calculateurs. Le problème demeurant après cette mise à jour, la SA Renault Retail Group l’a signalé à la SAS Renault, dont l’expert a indiqué qu’il ne procéderait à aucune investigation par courriel du 10 janvier 2019 », explique le jugement.
Centaines de témoignages
L’avocat choisi par le groupe Renault a enfin tenté de démontrer que le constructeur avait traité les clients lésés avec toute l’élégance que requiert pareille situation. Ce serait ainsi « 89 % » des « 4 567 plaintes » enregistrées à fin juin 2023 qui auraient été traitées, avec une prise en charge financière à hauteur de « 80 % » selon l’avocat. Les victimes de casse auraient même eu de la chance, selon lui, puisqu’elles ont eu le loisir de profiter d’un moteur tout neuf sur un engin qui affiche des kilomètres au compteur. Les centaines de témoignages recueillis à la fois par le collectif « Victimes du Motorgate » et par l’UFC-Que Choisir concordent hélas peu avec le tableau dépeint : mauvaise foi de la part des garagistes, recherche systématique de la « petite bête » dans les factures d’entretien pour rejeter la faute sur le client, prises en charge très aléatoires et partielles… Le leader du collectif « Victimes du Motorgate », Olivier Blanchet, annonce un taux de prise en charge moyen des frais de 54 %. Lorsque prise en charge il y a eu !
L’arrêt de la cour d’appel interviendra le 18 janvier 2024.