Perrine Vennetier
Médicaments antirhumeLa pseudoéphédrine sera-t-elle enfin interdite ?
L’Agence européenne du médicament va réévaluer l’intérêt de la pseudoéphédrine, cette molécule utilisée comme décongestionnant dans des médicaments comme Actifed Rhume ou Dolirhume. Son autorisation pourrait être retirée ou du moins suspendue. C’est ce que demande l’UFC-Que Choisir au vu des dangers trop grands qu’elle fait courir aux patients qui prennent ce médicament.
Risquer un AVC pour un nez bouché ? Cela semble disproportionné. C’est pourtant bien ce qui est en jeu quand on prend un médicament contre le rhume contenant de la pseudoéphédrine. Cette substance active a un effet vasoconstricteur : elle resserre les vaisseaux sanguins. Dans les parois nasales, cela réduit la quantité de liquide et donc les gonflements et la production de mucus. À ce titre, elle est donc utilisée comme décongestionnant (contre le nez bouché) dans divers médicaments tels que Actifed Rhume, Dolirhume, Humex Rhume, etc. Or elle n’agit pas seulement sur les vaisseaux dans le nez mais aussi sur ceux du cerveau.
Ainsi la pseudoéphédrine est suspectée de provoquer des troubles neurologiques tels qu’un syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (SEPR) ou de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR). Ces deux troubles impliquent une diminution de l’apport sanguin dans le cerveau (ischémie). « Ils sont de mieux en mieux identifiés, c’est pourquoi ils sont mieux repérés comme effets indésirables, explique le Dr François Montastruc du Centre régional de pharmacovigilance de Toulouse. Ils peuvent, dans certains cas, nécessiter des hospitalisations et laisser des séquelles neurologiques du même type que les AVC [qui sont un autre effet indésirable de la pseudoéphédrine]. » Leurs symptômes sont des maux de têtes (en coup de tonnerre parfois), des nausées et des convulsions. Leur diagnostic repose sur la clinique (réponses données aux questions du médecin) et l’imagerie.
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Une cinquantaine de cas de ces syndromes ont été rapportés en lien avec la prise de pseudoéphédrine. Aussi l’Agence européenne des médicaments (EMA) a annoncé début février qu’elle allait mener une réévaluation du risque des médicaments contenant cette substance. Au terme de ce travail, il sera décidé si les autorisations de mise sur le marché des médicaments contenant de la pseudoéphédrine sont maintenues, modifiées, suspendues ou retirées dans tous les pays de l’Union européenne. Pour cela, le comité de pharmacovigilance de l’EMA est chargé de passer en revue les données factuelles concernant son profil de risque.
Nombreux autres effets graves
De l’avis de nombreux experts indépendants, les risques l’emportent déjà sur les bénéfices. En effet, on ne peut mettre au crédit de la pseudoéphédrine qu’un effet passager sur la congestion nasale. De plus cet effet ne semble pas plus important que celui procuré par de simples lavages du nez. En revanche, ces médicaments exposent à des effets indésirables, très rares mais très graves, de différentes natures :
- cardiovasculaires (crises d’hypertension, infarctus du myocarde) ;
- neurologiques (AVC) ;
- et psychiatriques (hallucinations, épisodes psychotiques).
En France, un bilan sur la période 2012-2018 faisait état de 25 AVC, 9 infarctus du myocarde et 5 morts causés par ces médicaments (1).
Des risques inacceptables en regard de leur intérêt quasi nul pour les malades. Aussi la Société française de pharmacologie et de thérapeutique juge que « les médicaments contenant des vasoconstricteurs décongestionnants n’ont aucune place dans la prise en charge des symptômes du rhume ». De son côté, la revue médicale Prescrire les a classés dans leur bilan des médicaments à écarter. À l’UFC-Que Choisir, nous alertons sur les dangers de ces médicaments et demandons désormais la suspension (voir encadré) de leur autorisation de mise sur le marché. L’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) elle-même le martèle : « Le rhume guérit spontanément en 7 à 10 jours sans traitement. Par conséquent, ce type de médicament ne doit pas être utilisé en première intention en cas de rhume. » Dans cette optique, elle a édité en 2020 une fiche d’aide à la dispensation des pharmaciens : pour qu’ils s’assurent notamment que les personnes à qui ces médicaments sont contre-indiqués (moins de 15 ans, à risque cardiovasculaire) ne les prennent pas.
Un document d’information doit également être remis en pharmacie aux patients qui achètent ces médicaments, leur « rappelant les mesures d’hygiène à adopter en première intention en cas de rhume et présentant les effets indésirables pouvant être associés à la prise de ces médicaments ». Autant dire : pour les dissuader d’en prendre ! « Nous sommes actuellement en train d'examiner la possibilité de nouvelles mesures restrictives afin de protéger les patients », ajoute l’ANSM. Bref, on se demande bien quel est l’intérêt de garder sur le marché des produits qu’il vaut mieux ne pas prendre. L’évaluation en cours au niveau européen permettra peut-être de les retirer enfin.
Suspendre l’autorisation de mise sur le marché de la pseudoéphédrine
Au vu de la balance bénéfice-risque défavorable, et des nouveaux effets indésirables graves documentés fin 2022, l’UFC-Que Choisir demande la suspension de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de la pseudoéphédrine en France, en attendant les conclusions de la procédure de pharmacovigilance (PRAC) de l’Agence européenne des médicaments (EMA).
20 ans d’atermoiements
Depuis plus de 20 ans, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) connaît la gravité des effets indésirables des médicaments contre le nez bouché et se contente de demi-mesures, ne protégeant pas complètement les patients.
2001 Rapport du Comité technique de pharmacovigilance portant sur les effets indésirables neurologiques et cardiovasculaires des vasoconstricteurs décongestionnants de la sphère ORL.
2008 Nouveau rapport présenté en mars à la commission nationale de pharmacovigilance qui préconise « l’envoi d’une lettre d’information aux professionnels de santé ».
2011 Une information sur la « sécurité d’emploi » (c’est-à-dire les dangers) des décongestionnants renfermant un vasoconstricteur est diffusé sur le site de l’Agence du médicament (alors Afssaps).
2012 Nouveau rapport recommandant le « listage », c’est-à-dire la vente seulement sur ordonnance des vasoconstricteurs. Proposition non suivie d’effet puisque la pseudoéphédrine est toujours en vente libre.
2013 « Plan d’action » de l’ANSM qui communique sur son site et vers les officines.
2018 Interdiction de la publicité grand public.
2019 Le comité technique de pharmacovigilance montre la persistance d’effets indésirables graves (AVC et infarctus du myocarde) en dépit des mesures précédentes.
2022 Une fiche d’aide à la dispensation de ces médicaments est éditée à destination des pharmaciens et un document d’information sur la prise en charge du rhume est éditée pour les patients. Mais les boîtes d’antirhume restent en bonne place et accessibles dans les pharmacies.
Que faire en cas de rhume ?
Si l’usage des médicaments antirhume n’est pas recommandé, il existe néanmoins des solutions pour soulager les symptômes, parfois très pénibles, du rhume. Si besoin, du paracétamol peut être pris contre la fièvre et les maux de tête (3 g par jour maximum, pas plus de 5 jours en automédication). Contre le nez bouché, attention au report vers des sprays (sur prescription) contenant eux aussi des vasoconstricteurs décongestionnants comme l’éphédrine (Rhino Sulfuryl), la naphazoline (Derinox), l’oxymétazoline (Aturgyl, Pernazène), etc. Ceux-ci présentent des risques tout aussi disproportionnés que la pseudoéphédrine. Préférez des lavages de fosses nasales, avec des pipettes de sérum physiologique, des sprays d’eau de mer ou des dispositifs type « neti pot » ou « rhino horn », dont l’intérêt est établi en cas de complications comme des sinusites. La vapeur d’eau chaude peut aider mais attention en cas d’inhalations aux vapeurs brûlantes qui peuvent provoquer des brûlures.
(1) Ce bilan incluait aussi les effets indésirables des vasoconstricteurs décongestionnants pris sous forme de spray comme l’éphédrine (Rhino Sulfuryl), la naphazoline (Derinox), l’oxymétazoline (Aturgyl, Pernazène), etc.