Audrey Vaugrente
MédicamentUne réforme européenne sans révolution
La Commission européenne propose une refonte de la législation européenne encadrant le secteur du médicament. Les laboratoires y gagnent en souplesse administrative, mais se voient amputés de 2 ans d’exclusivité pour leurs nouveaux médicaments.
Les prix des médicaments sont de plus en plus élevés, les pénuries récurrentes, et le cadre européen trop rigide. Tel est le constat de la Commission européenne, qui souhaite réformer les textes de loi régissant le secteur du médicament. Elle propose 2 textes : l’un axé sur le développement de nouveaux médicaments et leur mise à disposition, l’autre sur la gestion de l’approvisionnement et sur les missions de l’Agence européenne du médicament (EMA).
Le but annoncé est de « rendre les médicaments plus disponibles, plus accessibles et plus abordables » mais aussi de rendre la recherche en Europe plus attractive pour les fabricants. Sur le papier, les avancées restent timides et ne satisfont pas vraiment les labos, ni les associations d’usagers qui font preuve d’un optimisme prudent.
Moins de « lourdeurs »
Censée faciliter le travail en amont de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments, cette réforme veut réduire les « lourdeurs administratives » et simplifier les procédures pour les fabricants. À la clé, pour ceux-ci, une suppression du renouvellement de l’AMM. Limiter cette réévaluation quinquennale à une simple charge est une erreur : elle permet d’intégrer les nouvelles données sur les effets indésirables et l’intérêt thérapeutique du médicament à l’analyse du dossier. Pour Rita Kessler, chargée des actions publiques pour la revue indépendante Prescrire, cette décision est « dangereuse compte tenu du nombre d’autorisations accélérées ». Elle pointe également un paradoxe de fond : « La Commission insiste par ailleurs sur l’importance de l’évaluation tout au long du cycle de vie du médicament, et sur la prise en compte des données de vie réelle dans l’évaluation. »
La Commission promet aussi de réduire la durée d’examen d’un dossier par l’Agence européenne du médicament à 180 jours, contre 210 à l’heure actuelle. En théorie du moins. Dans les faits, ce délai est de 400 jours. Certains comités seront supprimés, les moyens renforcés dans d’autres secteurs pour permettre d’atteindre cet objectif. Mais rien ne garantit que l’évaluation soit plus sérieuse. « Pour Prescrire, évaluer sérieusement les données pharmaceutiques, toxicologiques et cliniques relatives à un nouveau médicament demande un temps incompressible », souligne Rita Kessler.
Plus de souplesse, mais pas pour tout le monde
Dans le même esprit de simplification, les contraintes réglementaires devraient être assouplies. Ainsi, la tenue d’essais cliniques adaptatifs serait facilitée. Popularisés par les essais de traitement contre le Covid-19, ils ont pour caractéristique d’adapter la répartition des patients volontaires en fonction des résultats obtenus au cours de l’étude. Si cette méthode peut être bénéfique pour les malades, ce n’est jamais garanti et cela peut menacer l’intégrité des résultats finaux. Or, la rigueur des essais présentés lors des demandes d’autorisation est déjà problématique.
Mesure phare de cette réforme, la durée d’exclusivité des nouveaux médicaments est réduite à 8 ans – contre 10 aujourd’hui – afin d’accélérer l’arrivée de génériques/biosimilaires sur le marché. Mais les fabricants auront quand même la possibilité de grignoter des mois, voire des années, de protection du marché en remplissant certaines conditions. Parmi elles, la commercialisation du produit dans l’ensemble des États membres, la tenue d’essais cliniques comparatifs ou encore la possibilité de traiter plusieurs pathologies avec un même médicament. Au total, les fabricants pourront obtenir jusqu’à 12 ans d’exclusivité – 13 si le traitement vise une maladie rare. La mise à disposition de versions génériques ou biosimilaires des médicaments risque de pâtir de cette mesure modulaire.
Des contraintes renforcées en aval
On peut tout de même saluer quelques contraintes supplémentaires pour les fabricants. Ils auront notamment l’obligation de rendre publics les financements directs issus des fonds publics – ou d’organismes financés par ceux-ci. Cette information pourrait peser dans les négociations sur les prix, espère la Commission. L’évaluation des risques environnementaux (ERE), déjà obligatoire, pourra être mieux utilisée. L’autorisation pourra ainsi être refusée si le laboratoire ne fournit pas « les preuves que les risques environnementaux ont été évalués et que des mesures d’atténuation des risques ont été prises ».
Du côté du suivi des pénuries, le rôle de surveillance des États membres et de l’Agence européenne du médicament sera renforcé, mais les fabricants devront eux aussi élaborer un plan de prévention, et notifier plus tôt les pénuries. Une liste des médicaments critiques doit également être élaborée. Toutefois, l’impact réel de ces mesures reste à démontrer. Par exemple, aucune obligation de stock minimal n’est établie.
L’Agence européenne du médicament : juge et partie ?
La réforme de la législation pharmaceutique passe aussi par une refonte des missions de l’EMA. Moins de comités, mais plus d’échanges avec les fabricants en amont de la demande d’autorisation. L’activité de conseil – qualifié de « soutien scientifique sur mesure » – sera renforcée. Des avis scientifiques précoces seront délivrés, parfois « des années avant » le dépôt d’une demande d’autorisation. On ignore encore quels moyens seront alloués. Cependant, la question de la pertinence des dossiers ou de la solidité des preuves ne semble pas centrale. « Depuis les années 2010, les publications scientifiques montrent de plus en plus le faible niveau d’exigence des agences du médicament dans le processus d’octroi des AMM », déplore Rita Kessler, chargée des actions publiques à Prescrire.
Si on ajoute à cela le manque de transparence autour de ces conseils, l’inquiétude est de mise. La Commission explique vouloir soutenir les PME mais, en réalité, ces demandes émanent en majorité de grandes entreprises. Elles sont de plus en plus nombreuses (611 en 2021 contre 466 en 2018) et aboutissent de plus en plus souvent à un avis positif de l’EMA.
En 2017, déjà, la Médiatrice européenne avait adressé une série de questions au directeur de l’EMA, et demandé que les personnes chargées du conseil ne prennent pas part à l’évaluation de la demande d’AMM. De même, Prescrire a demandé l’élaboration de recommandations écrites sur les critères à respecter lors des études cliniques pour « limiter les risques de capture institutionnelle ». Sans grand succès. La transparence de cette activité de conseil est, encore une fois, la grande absente de cette réforme.