Élisabeth Chesnais
Marché de l’eauLes géants dans le collimateur
La Commission européenne enquête sur le marché de l’eau en France. Elle vient d’engager une procédure pour abus de position dominante et entente à l’encontre des deux multinationales du secteur, Veolia et Suez Lyonnaise des eaux, ainsi que du numéro trois, la Saur.
Sans préjuger de son résultat, cette procédure ouverte par les autorités européennes en charge de la concurrence constitue plutôt une bonne nouvelle pour les consommateurs. Les études successives de l’UFC-Que Choisir sur le prix de l’eau démontrent en effet, sinon une entente formelle, du moins une absence de concurrence et des tarifs du mètre cube souvent prohibitifs. Publiés en 2006 et 2007, les résultats prouvaient des surfacturations scandaleuses, avec un prix de l’eau qui faisait la culbute d’une ville à l’autre, sans que les conditions et les spécificités locales puissent justifier de tels écarts. Ce travail de Que Choisir a évidemment suscité de belles polémiques : les distributeurs d’eau niaient les marges exorbitantes dénoncées.
Depuis, pourtant, de nombreux élus locaux se sont emparés du dossier et se sont lancés dans la renégociation de leurs contrats, avec des résultats spectaculaires. Baisse de 1 € sur le prix du mètre cube d’eau à Saint-Étienne, diminutions sensibles à Lyon, à Paris qui, depuis, a « remunicipalisé » son service, à Bordeaux, à Toulouse… Les diminutions de tarifs n’ont d’ailleurs pas concerné que les grandes villes. Anglet sur la côte basque, Bergerac en Dordogne, Libourne en Gironde ont obtenu de sérieuses baisses de prix de la part de leur délégataire, Veolia ou la Lyonnaise des eaux selon les cas.
Toutes ces renégociations ont imposé une expertise des contrats et des comptes rendus financiers aux maires. L’occasion de découvrir que les comptes rendus répondaient à une méthode de présentation mise au point par la FP2E, le syndicat professionnel des distributeurs. L’occasion aussi de découvrir que tous les contrats comportaient des clauses d’indexation inflationnistes. Ce n’est pas suffisant pour prouver une entente concertée, mais c’est révélateur d’un marché où la concurrence ne joue guère. La plupart des villes étaient d’ailleurs corsetées par des contrats les liant à leur délégataire sur 20, voire 30 ans !
« Jeu de la concurrence faussé »
Et puis il y a les fameuses filiales communes, antithèse absolue de la concurrence. À Lille, Marseille, Nancy, Saint-Étienne, Arles, en Martinique, en Guyane, c’est une entreprise détenue à 50 % par Veolia et à 50 % par Suez qui détenait le marché de l’eau ! Dans un avis de 2002, le Conseil de la concurrence avait dénoncé « un jeu de la concurrence faussé » et « un abus de position dominante », ce qui imposait le démantèlement de ces filiales. L’État ne s’est pas précipité. À l’automne 2007, l’UFC-Que Choisir a rappelé cet impératif à la ministre de l’Économie d’alors, Christine Lagarde, mais c’est seulement en 2010 que cette anomalie concurrentielle a pris fin.
Autant de preuves d’absence de concurrence qui ne valent pas pour autant preuve d’une entente concertée. Les conclusions de la procédure engagée par la Commission européenne sont donc très attendues.
La FP2E, syndicat professionnel des entreprises de l’eau, vient de réagir à la procédure engagée par la Commission européenne. Son communiqué du 18 janvier insiste sur « la vivacité de la concurrence sur le sol français ». À Que Choisir, on penche pour l’humour !