Micaëlla Moran
Maison de retraiteLes droits et devoirs de chacun
L’affaire de la nonagénaire expulsée d’une maison de retraite début janvier pour défaut de paiement a défrayé la chronique. Retour sur les droits et les obligations de chacun en maison de retraite. Et zoom sur les « personnes qualifiées » supposées intervenir en cas de conflit.
Tout est dans le contrat signé au moment de l’entrée en maison de retraite. Les droits et devoirs de chacun y sont définis, ainsi que les motifs de résiliation. Le défaut de paiement en est un, l’inadaptation du comportement de la personne accueillie en est un autre. Mais il y a parfois des ruptures un peu brutales, comme l’a dénoncé la FNAPAEF (Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles) en alertant députés et sénateurs à plusieurs reprises. Il y a des formes et des délais à respecter, afin de prévenir les traumatismes d’un « déménagement » imposé.
Parlons argent
Rappelons que les familles sont tenues à l’obligation alimentaire. Si leurs ressources, comme celles du résident, sont insuffisantes, elles peuvent faire une demande d’aide sociale auprès du Conseil général dont elles dépendent. Précisons que cette aide est récupérable sur succession, c’est donc en réalité une avance. Dans le cas de la nonagénaire hébergée à Chaville, le souci n’était pas d’ordre financier, mais familial. L’établissement avait adressé plusieurs courriers recommandés et saisi les tribunaux. Le 31 décembre 2012, la famille a été condamnée à régler les arriérés dus (soit 39 700 €), mais n’a pas donné suite. L’établissement a donc décidé de rompre le contrat et donné un préavis à la famille. Le jour dit, trouvant porte close au domicile d’un des enfants, l’ambulancier a emmené la nonagénaire à l’hôpital. Fin du premier chapitre.
Mobilisation médiatique
Les pouvoirs publics ont rapidement diligenté une enquête et parlé de dysfonctionnement grave dans l’établissement (le contrat n’avait pas été signé, la résidente n’avait pas été informée, on ne s’était pas assuré de la présence de la famille au domicile). Pour la ministre en charge des Personnes âgées, Michèle Delaunay, ce triste épisode illustrerait le besoin de renforcer les droits des aînés. Étrangement, l’attitude de la famille fautive n’est guère stigmatisée. Espérons que des parents indélicats n’y verront pas un encouragement à ne pas verser leur écot.
En principe, une telle affaire peut être analysée par le Conseil de la vie sociale. Cette structure, obligatoire dans tous les établissements, se compose de résidents, de familles et de membres du personnel. Il existe une autre voie de médiation, les listes de « personnes qualifiées ». Le hic, c’est qu’elles sont peu connues, quasi inexistantes et largement perfectibles (voir encadré ci-dessous.)
Les professionnels du secteur gérontologique se sont étonnés de la précipitation de l’État ainsi que du manque de concertation. Pascal Champvert, directeur de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), a rappelé qu’en 2008, l’État avait déjà fait preuve de précipitation après la diffusion de l’émission « Les infiltrés » et poursuivi les professionnels en justice, et qu’en octobre 2012, le juge a prononcé un non-lieu. L’AD-PA et la FNADEPA, une autre organisation de directeurs, ont d’ailleurs adressé le 24 janvier un courrier à la ministre, demandant la tenue d’une table ronde sur le refus de paiement à laquelle seraient associées toutes les parties concernées : professionnels, familles, retraités, résidents… À suivre.
Les listes de « personnes qualifiées »
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a prévu que l’usager d’un établissement ou d’un service social ou médico-social peut faire valoir ses droits auprès d’une personne qualifiée. Celle-ci est là pour l’informer, l’aider et servir de médiateur en cas de conflit. Cela fonctionne dans trois secteurs : la petite enfance, le handicap et le grand âge. Ces listes sont en principe établies conjointement par le directeur de l’ARS (Agence régionale de santé), le préfet et le président du Conseil général. Ça, c’est la théorie. La pratique montre qu’il ne sert à rien d’accumuler les textes si on ne s’assure pas de leur effectivité.
Un enseignant au Pôle universitaire d’Alençon et à l’Université du Maine a demandé à ses étudiants de faire une enquête sur le sujet. Bilan : seuls 21 départements sur les 57 choisis au hasard ont pu en fournir une. Et encore ces étudiants savaient–ils qui contacter, à la différence du grand public ! Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi, le verdict est donc très sévère. Extraits de l’enquête : « Rares sont les interlocuteurs qui ont pu répondre immédiatement à la demande ; beaucoup ont demandé ce qu’étaient ces listes, voire de les rappeler après avoir trouvé ladite liste ! »
Une fois ces listes obtenues, les étudiants ont contacté certaines personnes inscrites. Une majorité a dénoncé le manque de formation, de directives ou de consignes pour mener à bien leur mission. Et pointé le manque de notoriété de ces listes, certaines n’étaient pas à jour ou s’avérant incomplètes. Il est également arrivé que les personnes listées soient en conflit d’intérêts avec les établissements et services… Le rapport a été transmis aux ministères concernés avec des propositions d’améliorations. Une réunion est prévue dans les prochains jours.