Erwan Seznec
Loi ScellierCe que les commerciaux ne disent jamais
Démarchage par téléphone, demande de rendez-vous au domicile, argumentaire bien rodé, plaquette luxueuse : l'activisme des commerciaux chargés de placer des produits de défiscalisation immobilière type loi Scellier ne se dément pas. « Que Choisir » vous propose de découvrir leurs zones d'ombre, l'envers du dépliant sur papier glacé.
« Bonjour, M. X, nous sommes une société chargée de faire profiter les particuliers des nouveaux dispositifs de défiscalisation de la loi de finances 2010. Auriez-vous quelques minutes à m'accorder afin que je puisse vous faire bénéficier d'une forte réduction de votre impôt sur le revenu ? »
Cet appel émane d'une plateforme comptant plusieurs dizaines de téléconseillers dénués de compétences sérieuses en matière fiscale. Ces téléconseillers ignorent à peu près tout de la loi de finances 2010 et ont pour seul but de remplir le carnet de rendez-vous de commerciaux qu'ils n'ont jamais vus.
« La moitié des ménages français est non imposable. Un dixième environ a les moyens de rémunérer des gérants de fortune personnelle, de sorte qu'ils payent très peu d'impôts. Notre société a été créée pour les gens comme vous. Nous mutualisons l'expertise en patrimoine de manière à en faire profiter les classes moyennes, qui payent aujourd'hui trop d'impôts. »
« L'expert » qui se présente ainsi lors du premier rendez-vous est en réalité un commercial n'ayant qu'un seul type de produit dans sa panoplie : de l'immobilier défiscalisé. Quelle que soit la situation patrimoniale que vous lui décrirez, il tentera de vous vendre un T1, un T2 ou un T3, en fonction de vos revenus.
« Après étude de votre dossier, il apparaît que le produit le mieux adapté à votre profil patrimonial est un appartement en défiscalisation. Il s'agit d'un T2 situé dans la ville de X. Nos études de géomarketing ont permis de déterminer que cette ville possédait un fort potentiel en demande locative. »
Le commercial n'a probablement jamais mis les pieds dans la ville où il veut vous faire investir. Quant à l'étude de géomarketing ayant orienté le choix du promoteur, vous ne la verrez jamais, même en insistant fortement. Et pour cause ! Ces études sont très souvent bâclées, voire imaginaires.
« Le Scellier fait l'objet d'un zonage par le gouvernement. Le territoire est divisé en quatre zones en fonction de la demande, avec des niveaux de loyer différents. On construit donc uniquement là où les besoins existent, à des loyers attractifs. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le gouvernement. »
Le gouvernement ne se fait guère prier pour admettre que le zonage est déficient et que de nombreuses villes, qui ne devraient pas être éligibles au Scellier car la demande y est faible, le sont malgré tout. Quant aux plafonds de loyer, ils sont très souvent supérieurs au prix du marché dans les petites villes.
« Pour acquérir ce T2 d'une valeur de 140 000 euros, vous devez souscrire un prêt. Nous pouvons, si vous le souhaitez, vous faire bénéficier d'offres préférentielles, en vertu d'accords que nous avons négociés avec les plus grandes banques françaises. »
Les offres des banques partenaires des défiscalisateurs n'ont rien de « préférentielles », bien au contraire. Ce sont assez souvent des prêts à taux variables, quand il ne s'agit pas de montages scabreux (associant par exemple un prêt in fine et une assurance-vie, voir « Que Choisir » no 477).
« La mensualité que vous devrez assumer se monte à 1 000 euros, c'est vrai, mais en réalité, ce n'est pas vous qui allez la payer. Vous encaissez 500 euros de loyers mensuels et vous réalisez une économie d'impôt de 300 euros. Vous allez donc acquérir un appartement de 140 000 euros en 9 ans en remboursant seulement 200 euros par mois. »
Oui, sauf si le locataire fait défaut. Un appartement en loi Scellier qui n'est pas loué pendant 12 mois perd définitivement le bénéfice de la défiscalisation. L'investisseur se retrouve sans rentrée de loyer et sans économie d'impôt, mais avec des mensualités de 1 000 euros. Le commercial se garde bien de vous le dire.
« Nous vous proposons de souscrire une assurance contre la carence locative, qui couvre le défaut de locataire après la livraison du bien. »
Le commercial oublie aussi de vous dire que cette assurance saute définitivement après la première location, même si celle-ci n'a duré que 3 semaines. Par ailleurs, l'assurance de carence locative est en général limitée à 6 ou 9 mois.
« Nous vous proposons également une assurance de vacance locative, si jamais votre bien restait inoccupé pendant plusieurs mois entre deux locations. »
Voilà beaucoup d'assurances, pour des résidences construites dans des villes à « fort potentiel »... La garantie de vacance locative fonctionne, c'est vrai, mais avec des délais de paiement de plusieurs mois. De plus, elle est sérieusement amputée par les frais de rotation de bail. À chaque changement de locataire, le syndic (qui appartient très souvent au promoteur) vous prélèvera quelques centaines d'euros de recherche et d'éventuelle remise en l'état de l'appartement. Les professionnels de l'immobilier consciencieux estiment que ces frais de rotation de bail se montent à 8 %, voire 10 % des loyers encaissés annuellement pour des petites surfaces comme les T2 ! Encore un point que votre commercial n'abordera pas spontanément.
« La taxe d'habitation est bien sûr à la charge du locataire. »
Mais la taxe foncière est pour vous. Les défiscalisateurs la sous-estiment presque systématiquement dans leur simulation, quand ils n'omettent pas tout simplement d'en parler.
« L'immobilier va baisser ? Pas partout ! Nous sommes tellement sûrs que nos biens vont se valoriser que nous vous proposons une "garantie de revente" couvrant sa dépréciation éventuelle quand vous le céderez. »
La garantie de revente est assortie de conditions restrictives. Elle ne marche qu'en cas de décès, invalidité permanente, licenciement économique, etc. Elle est toujours plafonnée à 20 %, voire 12 % de la valeur d'achat du bien. Or, de très nombreux professionnels estiment que les T1- T2 achetés en Robien entre 2006 et 2008 dans les villes petites et moyennes ont été surévalués de 30 % minimum.