Erwan Seznec
Loi Création et InternetDu travail d'artiste
Sans attendre le vote des députés qui examinent en ce moment le projet de loi sur la répression du téléchargement illégal, le gouvernement a publié l'appel à candidature pour le lancement de l'outil informatique nécessaire à cette répression ! Quand l'Assemblée nationale se transforme en simple chambre d'enregistrement...
En politique, il faut savoir avaler des couleuvres. Celle-là est de taille. Le ministère de la Culture a transmis au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) un avis d'appel à candidature pour le lancement du système informatique de la riposte graduée. Il l'a fait le 26 février, soit une semaine avant que les députés n'entament l'examen du projet de loi Création et Internet, qui doit décider ou non de la mise en place de cette riposte graduée ! Révélée par « PC INpact », l'affaire résume parfaitement le rôle auquel l'Assemblée nationale est réduite dans ce dossier : une chambre d'enregistrement.
De jour en jour, il se confirme que le gouvernement entend faire passer coûte que coûte cette loi de répression du téléchargement pirate. Elle prévoit entre autres la création d'une Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), habilitée à couper le Web aux présumés coupables.
Depuis le début des débats, tous les amendements allant dans le sens de la répression sont adoptés. Ceux adoucissant le projet sont rejetés. Au mépris, parfois, du bon sens le plus élémentaire.
Mesure inapplicable
Rapporteur, le député Franck Riester a ainsi réussi à faire voter un amendement prévoyant la labellisation par l'Hadopi des sites mettant des contenus légaux en ligne. Une mesure à l'évidence inapplicable. En effet, les sites « légaux » englobent les sites marchands, mais aussi les milliers de sites non commerciaux des artistes qui mettent leurs oeuvres, gratuitement, à la disposition du public ! Comme l'a fait remarquer le député Christian Paul, l'ensemble évoluant en permanence, il faudrait labelliser ou « délabelliser » des centaines de sites par jour. Or, l'Hadopi se composerait (ou plutôt se composera !) de sept salariés seulement, qui n'auront pas trop de leur quatorze mains pour envoyer des messages de coupures aux supposés « pirates ». Toujours selon nos collègues de « PC INpact », ils ne pourront guère consacrer plus de 25 secondes à chaque dossier. À moins que l'Hadopi ne devienne un des plus grands employeurs de la fonction publique ?
Une loi favorable aux artistes, vraiment ?
Le déroulement des séances de discussion montre bien que le gouvernement sait où il va et que la route est toute tracée. Des parlementaires ont proposé de créer une « contribution de financement de la création », autre appellation de la licence globale que défend l'UFC-Que Choisir. D'une seule voix, la ministre de la Culture Christine Albanel et le rapporteur du projet de loi Franck Riester s'y sont déclarés défavorables. Parmi les motifs avancés, le mécanisme pourrait poser des problèmes au moment de la redistribution des revenus aux artistes. Une préoccupation louable, mais qui a totalement disparu pendant l'examen d'un autre amendement. Potentiellement gênant pour les majors du disque, il visait à constituer des statistiques de diffusion des oeuvres détaillées, pour une meilleure répartition des rémunérations.
Un autre amendement prévoyait d'accorder aux artistes une part des revenus issus de la publicité des sites qui diffusent leurs oeuvres. Rejeté. Un autre encore prévoyait d'étendre le mécanisme de rémunération mis en place pour les radios aux sites de diffusion de musique en ligne (ou « streaming », du type Deezer.com), certes favorable à ces derniers, mais aussi aux artistes, car plus rémunérateurs que les accords actuels ou que la vente de CD. Rejeté. Ces sites de streaming, il est vrai, ont le tort d'être indépendants des majors. Globalement, tous les amendements favorables aux auteurs (lancement d'un fonds en faveur de la création musicale, affichage de la part reversée aux auteurs sur le prix de vente des biens culturels, etc.) sont passés à la trappe.
Reconnaissons tout de même au rapporteur le mérite de la franchise. Franck Riester l'a souligné, « ce projet de loi ne vise pas à remettre à plat toutes les répartitions des revenus entre les ayants droit, mais à développer les revenus globaux de l'offre légale ». Revenus qui, dans le schéma actuel, profitent en majorité aux maisons de disque. CQFD.
Édouard Barreiro