Fabrice Pouliquen
Comment contraindre son propriétaire à faire des travaux de rénovation énergétique ?
C’est une question que se posent de nombreux locataires : peut-on contraindre son bailleur à entreprendre des travaux de rénovation énergétique de son logement ? Une initiative pas évidente à prendre en temps de crise du logement mais il existe cependant quelques brèches et occasions à ne pas rater.
Les vitrages sont obsolètes, les huisseries et les portes laissent passer les courants d’air… Pas de doute, votre logement aurait grand besoin de travaux de rénovation énergétique. Le hic ? Vous êtes locataire et votre propriétaire fait la sourde oreille à vos demandes répétées d’amélioration. Est-ce à dire que vous êtes coincé ?
En 2019, la loi énergie-climat a introduit un critère précis de performance énergétique à la notion de logement décent qui conditionne la location d’un bien. On en voit les implications concrètes depuis 2023. Aucun bailleur ne peut désormais louer légalement un logement dont la consommation d’énergie finale estimée par le diagnostic de performance énergétique (DPE) excède 450 kWh par m2 et par an. Autrement dit, le pire des passoires thermiques, souvent dénommées G+.
Au locataire d’exiger un DPE lors de la reconduction du bail
Mais « ce seuil ne s’applique immédiatement qu’aux nouveaux contrats de location », insiste Louis du Merle, directeur juridique de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil). Pour un locataire déjà installé au 1er janvier 2023, l’occasion à saisir est celle du renouvellement ou de la reconduction tacite de son contrat de location. Pour rappel, le bail est reconduit pour 3 ans si le propriétaire est un particulier, ou 6 ans s’il s’agit d’une personne morale (société, compagnie d’assurances…). « À ce moment-là, un locataire peut exiger de son propriétaire que le logement respecte le seuil de décence énergétique selon l’estimation du DPE », poursuit Louis du Merle. Attention : c’est bien au locataire de faire cette démarche. « Le propriétaire n’a pas obligation de fournir "proactivement" un DPE à son locataire lors d’une reconduction tacite du bail », indiquait le ministère de la Transition écologique dans une réponse écrite à une députée, fin mars 2023.
Si le logement se révèle indécent, le locataire peut alors adresser une demande à son propriétaire pour qu’il réalise les travaux nécessaires et, s’il est toujours sans réponse dans un délai de 2 mois, saisir la commission départementale de conciliation pour demander son avis. Si le bailleur refuse, il n’y a plus d’autres choix que de saisir le juge, « le seul en mesure d’exiger ces travaux, rappelle Louis du Merle. Cela dit, le propriétaire risque gros en allant jusque-là, puisqu’il s’expose non seulement à être condamné à faire ces travaux, mais aussi à des dommages et intérêts ou la suspension du loyer. »
Que faire en attendant que le critère d’indécence énergétique se durcisse ?
Au 1er janvier 2023, le ministère de la Transition écologique estimait le nombre de logements au-dessus de ce seuil de 450 kWh par m² et par an à 134 000 dans le parc locatif privé, 34 000 dans le parc locatif social. Ce n’est donc qu’une petite partie des 1,9 million de logements locatifs qui étaient considérés comme des passoires thermiques à cette même date. Ceux étiquetés F et G. Leurs locataires devront encore s’armer de patience. À partir du 1er janvier 2025, l’ensemble des biens de la classe G du DPE seront considérés comme indécents, puis ceux de la classe F à partir du 1er janvier 2028. « Toujours selon le même principe : ces nouveaux seuils s’appliqueront aux nouveaux contrats et progressivement aux autres, lors de la reconduction du bail », indique Louis du Merle.
Que faire alors si vous n’êtes pas disposé à attendre jusque-là ? Il est toujours possible de s’appuyer sur l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 qui donne une définition générique de la décence d’un logement, en s’appuyant sur d’autres critères que celui de la performance énergétique. « Si le locataire a le sentiment d’être en insécurité sanitaire dans son logement, notamment en raison de problèmes d’humidité en lien avec l’état du bâti (de la responsabilité du propriétaire), il peut toujours intenter une action de justice », illustre le directeur juridique de l’Anil. Si l’indécence est établie, ça peut alors être une autre façon d’exiger de son bailleur la réalisation de travaux de rénovation énergétique.
Reste à savoir si, dans le contexte actuel de crise du logement sur une large partie du territoire, les locataires seront nombreux à aller au bras de fer avec leur bailleur. « Malheureusement, on n’a pas de statistiques sur le nombre de contentieux juridiques lancés sur ce sujet de décence énergétique, indique Louis du Merle. On remarque tout de même, à l’Anil, que nous avons été beaucoup sollicités ces derniers mois par les bailleurs et locataires sur la question de leurs droits et devoirs. » Même constat à la permanence juridique de l’UFC-Que Choisir.
Le locataire peut aussi choisir de sortir le chéquier
Il existe une autre option pour les locataires dans l’impasse avec leurs bailleurs. En principe, ils ont interdiction de transformer le logement sans accord du bailleur, au risque de devoir remettre en état le logement à sa sortie. Mais, depuis le 22 juillet 2022 et l’entrée en vigueur d’un décret de la loi climat et résilience, il y a une exception pour certains travaux de rénovation énergétique que le locataire peut entreprendre à ses frais. Ils doivent tout de même au préalable faire l’objet d’une demande écrite par lettre recommandée avec avis de réception auprès du bailleur. L’absence de réponse dans un délai de 2 mois vaut décision d’acceptation de ce dernier. Il ne pourra plus exiger la remise en l’état des lieux au départ du locataire. Les travaux concernés sont :
- l’isolation des planchers bas ;
- l’isolation des combles et des plafonds de combles ;
- le remplacement des menuiseries extérieures ;
- la protection solaire des parois vitrées ou opaques ;
- l’installation ou le remplacement d’un système de ventilation ;
- l’installation ou le remplacement d’un système de production de chauffage d’eau chaude sanitaire.