Fabrice Pouliquen
Jardin écoresponsableAu printemps, mollo sur le taille-haie et la tondeuse
Du 15 mars à la mi-août, de nombreuses espèces animales entrent dans la période sensible de reproduction. Raison pour laquelle la taille des haies est interdite pour les agriculteurs et déconseillée aux particuliers sur cette période. Pas d’élagage, pas de taille des haies… et doucement sur la tondeuse.
« Le mieux à faire, c’est de ne rien faire ! » La recommandation devrait faire plaisir à plus d’un ado à qui reviennent bien souvent les corvées de passer la tondeuse ou de tailler les haies. Dans une nouvelle campagne de sensibilisation lancée ce vendredi, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) invite de la mi-mars à la fin août à s’abstenir de tailler, d’élaguer et tondre dans nos jardins.
Car les arbres, haies et pelouses ne sont pas que des éléments décoratifs. « Ils abritent aussi la vie sauvage, rappelle l’association. Oiseaux, mammifères, reptiles, amphibiens, insectes et araignées y trouvent le gîte et le couvert. » En particulier au printemps et en été, période sensible de reproduction pour ces espèces animales.
Déjà des arrêtés restreignant la taille des haies
La politique agricole commune (Pac) interdit déjà la taille des haies et l’élagage des arbres en zones agricoles du 16 mars au 15 août, de nombreuses espèces d’oiseaux y aménageant leurs nids. Dans certains départements, des préfets ont également pris des arrêtés dans ce sens s’appliquant aux espaces végétalisés gérés par les particuliers, les entreprises et les collectivités. C’est le cas sur le Territoire de Belfort ou dans Les Vosges où les contrevenants s’exposent à 750 € d’amende. Mais il n’y a aucune réglementation encore à l’échelle nationale comme la LPO le demande.
L’an dernier tout de même, l’Office français de la biodiversité (OFB) encourageait déjà les Français à éviter la taille des haies et l’élagage des arbres entre le 16 mars et le 15 août. Une préconisation que fait aussi la LPO, « en poussant même jusqu’à fin août », précise Nicolas Macaire, l’animateur du programme Refuges de la LPO. « Certaines espèces d’oiseaux, dont les passereaux, peuvent entreprendre une troisième nichée si la météo est favorable, justifie-t-il. Des oisillons peuvent alors s’émanciper jusqu’à septembre. D’où notre conseil de ne pas les perturber jusqu’à cette date. »
Laisser même les mauvaises herbes
Mais la LPO n’arrête pas l’inaction aux haies et arbustes. L’association conseille également de ne pas tondre, « ou du moins pratiquer la tonte différenciée, détaille Nicolas Macaire. On peut s’aménager des allées jusqu’à la table du jardin, la balançoire, l’étendoir à linge… Mais l’idée est de réserver des parties du jardin où l’on laisse l’herbe pousser durant toute la période. » Dans le même ordre d’idée, Nicolas Macaire propose aussi de laisser pousser les « mauvaises herbes », bien souvent mal nommées d’ailleurs. « Dans le lot, en tout cas, il y a des plantes indigènes bien utiles à la biodiversité, explique-t-il. Une multitude de bourdons et d’abeilles viennent butiner sur le pissenlit. Au début du printemps, le serin cini, un petit passereau, descend aussi sur les pelouses de nos jardins se nourrir des bourgeons des pissenlits et des pâquerettes. »
Des jardins dépeuplés au printemps ?
Ces dernières années, plusieurs études scientifiques ont observé une perte générale d’abondance de biodiversité, à laquelle l’Europe n’échappe pas. Celle publiée en octobre 2017 dans la revue scientifique PlosOne avait fait grand bruit en évaluant à 75 % la baisse de la biomasse des insectes volants en près de 30 ans en Allemagne (1). Les auteurs soupçonnaient l’intensification de l’agriculture, en particulier le recours accru aux pesticides, d’en être la principale cause.
Quand les insectes chutent, les oiseaux, qui s’en nourrissent, suivent. Avec le Muséum national d’histoire naturelle, la LPO coordonne deux programmes de sciences participatives étudiant l’évolution des populations d’oiseaux en France :
- l’Observatoire des oiseaux des jardins, lancé en 2012, qui invite les particuliers à compter pendant 1 h les oiseaux qui se posent dans leur jardin, les derniers week-ends de mai et de septembre ;
- le Suivi temporel des oiseaux communs (Stoc) alimenté, lui, par des ornithologues.
Les deux programmes font ressortir de bien mauvaises tendances, en particulier sur les comptages printaniers des espèces habituées à nidifier chez nous. Seulement 2 % de celles habituellement rencontrées à cette période ont vu leurs effectifs augmenter depuis 2013, analysait la LPO en janvier 2023, au moment de tirer le bilan des 10 ans de l’Observatoire des oiseaux des jardins. Pour 24 %, les populations sont stables. Pour 41 %, elles sont en déclin, parfois très nettement, comme pour le martinet noir ou le verdier d’Europe.
Si la priorité est de stopper le net déclin de la biodiversité en zones agricoles – notamment en restaurant les haies et en réduisant l’usage des pesticides –, transformer nos jardins en havre de paix pour la faune sauvage n’est pas anecdotique pour autant. Le programme Refuges animé par Nicolas Macaire à la LPO réunit 52 000 jardins en France, dont les particuliers s’engagent moralement à appliquer ces conseils d’action et d’inaction. « L’ensemble couvre 70 000 ha et, ces dernières années, on gagne entre 4 000 et 5 000 refuges par an », souligne-t-il.
Lire aussi
(1) "More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas", Caspar A. Hallmann & al., PlosOne, 2017.