Marie-Noëlle Delaby
Jambon cuitQue valent les jambons sans conservateurs ?
Pour regagner la confiance des consommateurs échaudés par la présence de nitrites, les deux leaders du marché du jambon cuit, Herta et Fleury Michon, commercialisent désormais des jambons estampillés sans conservateurs, supposés cancérogènes. Nous avons analysé ces jambons.
Bien qu’elle soit la charcuterie la plus consommée des Français, le jambon cuit n’en connaît pas moins une période de désamour depuis l’inscription en 2015 par l’OMS de la charcuterie au rang des produits certainement cancérogènes (niveau 1) en raison du lien établi entre l’excès de consommation de charcuterie (plus de 50 g par jour) et un risque de cancer colorectal augmenté de 18 %. En cause, les nitrites, des molécules présentes dans les jambons soit via l’ajout de sels nitrités (E250 ou nitrite de sodium NaNO2 et E249 ou nitrite de potassium KNO2), soit en raison de l’utilisation de bouillons de légumes riches en nitrates (voir encadré). Dans les deux cas, ces ingrédients ont pour but d’assurer au jambon sa belle teinte rosée et de limiter la prolifération des bactéries. Lors de la digestion, les ions nitrites NO2 réagissent par nitrosation en milieu acide avec les acides aminés issus des protéines de la charcuterie pour former les nitrosamines. Pour rappel, quatre nitrosamines sont listées dans l’annexe XVII du règlement Reach n° 1907/2006 en tant que substances cancérogènes de catégorie 1B (risque accru supposé de cancer du côlon en particulier) et leur usage intentionnel est donc fortement restreint. Néanmoins, dans le cas des charcuteries, il s’agit d’une source non intentionnelle de nitrosamines. Par ailleurs, les ions nitrites peuvent également réagir avec le fer des charcuteries pour former du fer nitrosylé, lui aussi promoteur du cancer du côlon.
Pour faire face à la défiance des consommateurs inquiets, les deux marques leader du secteur, Fleury Michon et Herta, ont décidé de lancer des produits sans conservateurs. Mais attention, derrière les deux produits se cachent des procédés différents.
Herta Le Bon Paris au torchon sans nitrite
Lancé en février 2017, le jambon Le Bon Paris au torchon conservation sans nitrite d’Herta se revendique « sans nitrite, sans nitrate et sans allergène ».
Gardant le secret sur la recette exacte de son jambon, Herta précise simplement sur son site que « l’utilisation de végétaux spécifiques dans [sa] recette combinée à une méthode de fabrication innovante assure un jambon sans nitrite » (1). Autrement dit, l’industriel n’utilise ni sels nitrités, ni végétaux riches en nitrates dans son bouillon qui pourraient, sous l’effet de ferments ajoutés, se transformer en nitrites et constituer un moyen de conservation.
Résultat : pour la référence que nous avons soumise à un laboratoire indépendant, l’ensemble des analyses de nitrates et de nitrites révèlent des teneurs inférieures aux seuils de détection analytiques. Pari réussi pour Herta, ce jambon est donc conforme aux allégations qu’il revendique.
On notera également que son taux de sel affiché, soit 1,9 g/100 g, est également satisfaisant. Lors de notre dernier test de jambons cuits en avril 2016, les produits ayant eu moins de 2 g de sel aux 100 g avait reçu une bonne appréciation sur ce critère.
Fleury Michon Le Supérieur sans conservateur ajouté
Chez Fleury Michon, qui commercialise depuis novembre 2016 Le Supérieur sans conservateur ajouté, la stratégie est différente. En effet, si la gamme d’Herta ne contient aucun nitrite, celle de Fleury Michon se limite à n’ajouter aucun sel nitrité à son jambon (via les additifs E249 ou 250). Pas d’allégation trompeuse pour autant, il est clairement mentionné en face avant du produit qu’il « contient cependant des nitrites d’origine végétale pour assurer la bonne conservation du jambon ». Le bouillon de cuisson du jambon contient en effet du jus concentré de céleri, connu pour sa richesse naturelle en nitrates, et la firme précise en face arrière de l’emballage y ajouter des ferments qui, « associés à [ses] jus de légumes, permettent d’assurer la bonne conservation du jambon ». Autrement dit, l’action des ferments réducteurs sur les nitrates du jus de céleri va aider à former des nitrites.
Résultat : les analyses de deux lots différents de jambon Fleury Michon sans conservateur ajouté révèlent des teneurs en nitrites inférieures au seuil de détection pour les deux lots (< 6 mg/kg). Des nitrates sont quant à eux quantifiés dans les deux lots (respectivement 11,1 mg/kg et 18,8 mg/kg). Pour rappel, lors du dernier test de Que Choisir de jambons cuits supérieurs en avril 2016, la teneur moyenne en nitrates était de 12 mg/kg. Selon notre grille d’évaluation, ce nouveau jambon de Fleury Michon aurait obtenu l’évaluation maximale. Là encore, le produit est conforme à ses allégations.
On notera enfin que son taux de sel affiché, soit 1,8 g/100 g, est également satisfaisant.
Nitrites et nitrates : pas de risque pour une consommation raisonnable, selon l’Efsa
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a rendu en juin 2017 un avis sur l’ajout de nitrites et nitrates dans les aliments. Selon ce rapport, l'exposition des consommateurs aux nitrites et aux nitrates ajoutés aux aliments comme additifs se situe dans des limites sûres pour tous les groupes de population, à l'exception d'un faible dépassement chez les enfants dont le régime alimentaire est riche en aliments contenant ces additifs. Attention cependant, l’étude souligne que si toutes les sources alimentaires de nitrites et de nitrates sont prises en compte (additifs, nitrates naturellement présents dans certains végétaux et contaminations fortuites), les niveaux de sécurité (DJA) sont susceptibles d’être dépassés dans tous les groupes d'âge.
Nitrites, nitrates, quelles différences ?
Les nitrites (ajoutés sous la forme de sels nitrités) sont autorisés dans la limite d’une dose d’emploi de 150 mg de NaNO2 par kilogramme de jambon. Cependant, en France, la profession s’est volontairement engagée à limiter la mise en œuvre de sels nitrités à 120 mg/kg de jambon.
Quant aux nitrates, s’ils existent sous forme d’additifs alimentaires en tant que conservateurs (E251 et E252), leur usage n’est pas autorisé tel quel dans les jambons cuits. Mais ils sont aussi naturellement présents à des concentrations élevées dans certains légumes, comme le céleri. Les industriels utilisent donc souvent des bouillons de légumes dans leur recette de jambon pour bénéficier de l’action des nitrates « naturels » sur la couleur et la qualité bactériologique du jambon. Leur teneur résiduelle dans le produit fini n’est pas non plus réglementée selon la Fédération professionnelle des industries charcutières (Fict).
Ingérée par l’homme, la majeure partie de ces nitrates est excrétée directement. Mais environ un quart recircule dans la salive, et 20 % de ceux-ci sont transformés en nitrite par la microflore buccale.
Cécile Lelasseux
Rédactrice technique