Erwan Seznec
Investissement dans le vinEnquête en cours sur Patriwine
La Direction départementale de la protection des populations de Gironde examine plusieurs plaintes de consommateurs ayant investi dans le vin par l’intermédiaire de la société Patriwine. Le dirigeant, Franck Noguès, admet que la situation est difficile.
Après quelques années d’euphorie, l’investissement dans le vin connaît un lendemain de fête douloureux. Le groupe Héraclès (Chateauonline et 1855.com) a été récemment liquidé. Le fonds luxembourgeois Elite-Advisers Nobles Crus a vu ses activités suspendues en 2013 par la Commission de surveillance du secteur financier du Grand-Duché. Patrimoine Grands Crus/investir-dans-le-vin.com ne donne plus de signe d’activité depuis fin 2015.
C’est maintenant au tour de Patriwine de susciter l’inquiétude. La DDPP33 (l’administration départementale des fraudes de Gironde) est en train de centraliser des plaintes de consommateurs mécontents. Les perspectives de rendement avancées par Patriwine ne sont pas du tout au rendez-vous.
« J’ai confié 26 000 € à Patriwine en 2012, raconte Pascal B. Au bout de quelques mois, la société m’a annoncé que mes grands crus étaient descendus à 23 000 €. Un placement ne gagne pas à tous les coups. Je leur ai demandé de revendre. Pas de retour. Non sans mal, j’ai récupéré mes bouteilles, que j’ai fait expertiser. Il y en a pour 10 000 €, tout au plus ! Patriwine m’a vendu à 1 300 € des bouteilles de Château Lafite Rothschild qui valent 550 €, ainsi que des Clos Fourtet 2008 à 70 €, facilement disponibles à 45 €. »
À la date du 22 septembre, le site Patriwine parle encore de perspectives de rendement à long terme très intéressantes. Il mentionne que le Liv-ex, ou London International Vintners Exchange, est « passé de 100 à 258 sur 9 ans, soit une progression supérieure à 11 % par an, bien supérieure à celle des indices boursiers ». Il y en a fait cinq indices : Liv-ex 50, Liv-ex 100, Liv-ex Bordeaux 500, Liv-ex 1 000 et Liv-ex Investables. Ils ont tous progressé fortement entre 2006 et 2011, avant d’entamer une phase de stagnation ou de baisse. Fin août 2016, sur 5 ans, le Liv-ex 50 recule de 23 % et le Liv-ex 100 de 19 %.
Censé représenter un portefeuille d’investissement type sur 200 grands crus, le Liv-ex Investables, auquel fait référence Patriwine, perd 13 %(1).
Selon l’expert en vin Claude Maratier, « 11 % par an de rentabilité, ce n’est pas la tendance à long terme. Les grands crus de Bordeaux prennent 4 % en moyenne par an, ce qui en fait déjà un très bon placement. À condition d’acheter au bon prix, évidemment ».
« Nous n’avons pas la contrepartie en caisse »
Interrogé, Franck Noguès, dirigeant de Patriwine, admet que la société est en difficulté. « Notre site n’est pas à jour. La progression de 11 % par an ne tient plus. Le marché est à la baisse. Nous en avons discuté avec la DDPP33. Depuis sa création, Patriwine a acheté pour 20 millions d’euros de vin environ, répartis entre quelque 2 000 clients. Nous n’avons pas la contrepartie en caisse. Nous ne sommes pas en mesure, actuellement, de reprendre leurs vins aux investisseurs à leur valeur initiale. » Patriwine se refuse à chiffrer la moins-value latente. La société s’efforce de revendre ses propres stocks, issus de rachats aux clients. La société n’a pas publié ses comptes 2015, mais son dirigeant admet des pertes importantes. Franck Noguès, en revanche, dément formellement des prix d’entrée surévalués et toute spéculation illicite. Sur les forums, des internautes accusent Patriwine d’encaisser l’argent des investisseurs au moment de la signature, et d’attendre les demandes de sortie pour acheter effectivement les bouteilles. « C’est de la calomnie, nous sommes prêts à montrer nos stocks. »
(1) L’indice est calculé en livres sterling, mais le taux de change livre/euro, qui varie beaucoup, était identique en 2011 et en 2016, à 1 % près.