Élisa Oudin
Indemnisation des catastrophes naturellesLes experts d’assurance sous contrôle
Pour la première fois, un décret tente de réglementer le rôle, crucial en cas de catastrophes naturelles, des experts d’assurance. Il entrera en vigueur le 1er janvier 2025. En attendant d’autres textes pour rétablir les droits des assurés, trop souvent écornés.
Il était temps que les pouvoirs publics rétablissent un certain équilibre dans les rapports entre particuliers et compagnies d’assurance dans les cas de catastrophes naturelles, en particulier de sécheresse et d’inondations. Le nombre de dossiers non indemnisés par les compagnies d’assurance, notamment ceux des maisons fissurées, atteint en effet des proportions inquiétantes, avec un sinistre sur deux non indemnisé. Cet état de fait génère des situations dramatiques pour nombre de familles.
En cause la plupart du temps : le rapport de l’expert d’assurance qui classe le dossier sans suite. Or, comme nous l’avons démontré, les experts d’assurance sont maintenus dans une situation de dépendance économique et financière par les compagnies d’assurance. Difficile alors de délivrer des expertises impartiales ! Heureusement, un décret, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, vient poser les premières pierres d’un encadrement des experts d’assurance. Plusieurs propositions de loi tentent en outre de renforcer le droit des assurés à la contre-expertise.
Compétences et indépendance
C’est presque une petite révolution qu’institue le tout récent décret du 3 décembre 2024 « relatif à la conduite des expertises réalisées en vue de l’indemnisation des conséquences de désordres causés par le phénomène naturel de mouvement de terrain consécutifs à la sécheresse/réhydratation des sols » ! Pour la première fois, des conditions de compétences sont notamment clairement imposées. Les agents doivent désormais disposer d’un niveau d’étude sanctionné par un diplôme post-secondaire, ainsi que d’une expérience professionnelle dans le domaine du bâtiment, de la construction, du génie civil ou de la géotechnique :
- DUT + 5 ans d’expérience en géotechnique ou expertise d’assurance ;
- ou maîtrise/licence + 3 ans d’expérience ;
- ou ingénieur/architecte/master + 2 ans d’expérience.
De plus, des règles d’indépendance sont posées sans ambiguïté. Le décret prohibe en effet tous les liens salariaux et capitalistiques entre experts et assureurs, mais aussi toute dépendance économique de nature à porter atteinte à leur indépendance. Il interdit en outre la mise en place de « critères de performance » imposés par les compagnies d’assurance aux experts qu’elles mandatent, comme nous l’avions révélé. Le décret impose en effet aux compagnies de « fixer la rémunération de leur prestation d’expertise selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires, en fonction du temps d’expertise requis et du niveau de complexité de chaque sinistre ». Une condition aujourd’hui très loin d’être remplie en pratique.
Le décret impose aussi des conditions strictes de réalisation du rapport d’expertise : celui-ci doit contenir a minima « un document exposant les modalités de réalisation de l’expertise », « une description de la construction et son environnement » et « la conclusion de l’expertise quant à l’origine des désordres constatés et l’éligibilité du dommage constaté ».
Enfin, pour éviter les nombreuses pratiques dilatoires, le nouveau texte impose des délais plus stricts de remise du rapport :
- 4 mois maximum pour le dépôt du rapport intermédiaire de l’expert ;
- 1 mois de plus en cas d’investigations techniques par une entreprise tierce ;
- 1 mois enfin à l’assureur pour transmettre le rapport à l’assuré.
Garantir une contre-expertise
Le décret détaille aussi le contrôle des experts. Placés sous serment et titulaires d’une carte de commissionnement, les fonctionnaires ou agents publics chargés de cette mission pourront se faire remettre par l’expert tout document relatif à l’objet de leur contrôle. On espère que les fameuses fiches avec les critères de performance imposés par les assureurs aux experts feront bien partie du lot ! Ces contrôleurs techniques peuvent aussi se rendre sur place et auditionner l’expert ou toute personne susceptible d’apporter des informations utiles. Reste à savoir quels seront, en pratique, les moyens dévolus à ce contrôle fondamental.
Reste que même si le contrat qui lie l’expert à l’assuré ne comporte pas de clause d’intéressement, il crée de facto un lien commercial entre les deux parties qui ne favorise pas l’indépendance de l’expert. Pour y remédier, la sénatrice des Hauts-de-Seine, Christine Lavarde, avait notamment proposé la création d’un fonds mutualisé et indépendant pour rémunérer les experts. Mis en place par les assureurs, le fonds aurait été géré paritairement par les représentants des compagnies et par des représentants des assurés. Un moyen radical de couper le cordon ombilical entre assureurs et experts… L’amendement n’a pas été retenu. Une seconde proposition de la sénatrice a, en revanche, été votée par le Sénat et se retrouve maintenant devant les députés. Il s’agirait de rendre systématique, pour les cas de catastrophes naturelles, les frais de contre-expertise dans les contrats d’assurance. La loi consacre, de façon générale, le droit des assurés à choisir leur propre expert. Mais de moins en moins de consommateurs en sont informés. Et pour cause, les assureurs ont tout intérêt à le faire passer à la trappe… de la même façon qu’ils ont déjà, pour beaucoup, supprimé de la liste des garanties la prise en charge de la contre-expertise menée par les experts d’assurés. Remettre cette clause, initialement présente dans les contrats d’assurance, serait un minimum pour permettre l’exercice de ce droit fondamental.