Anne-Laure Lebrun
Inaction climatiqueComment une association de retraitées a fait condamner l'État suisse
En avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour inaction climatique. Cette décision historique, on la doit à une association de citoyennes suisses de plus de 64 ans, qui a engagé ces poursuites pour défendre la santé de toutes et tous.
Condamné pour inaction climatique : c’est le verdict rendu en avril 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de l’État suisse. À l’origine de cette action en justice, les 3 000 membres de l’association des Aînées pour le climat. Une victoire pour l’écologie et l’égalité que nous explique Anne Mahrer, coprésidente de l’association suisse.
« Militante antinucléaire dans les années 1970, puis activiste en faveur de la défense de l’environnement dès les années 1980, je me suis ensuite engagée en politique au sein des Verts. En tant que députée, j’ai constaté que l’urgence climatique n’effleurait pas la majorité parlementaire. En 2015, inspirés par l’action collective aux Pays Bas (voir encadré ci-dessous), plusieurs élus Verts ont souhaité mener une action judiciaire pour contraindre l’État à prendre des mesures plus ambitieuses.
Mais en Suisse, les recours collectifs sont difficiles. Créer une association de personnes particulièrement vulnérables au réchauffement climatique était nécessaire. Notre porte d’entrée : les femmes âgées. Toutes les données scientifiques pointent l’impact de l’élévation des températures sur leur santé. Les importantes vagues de chaleur que connaît l’Europe depuis des années provoquent chez elles des coups de chaleur ou aggravent des problèmes respiratoires ou cardiaques qui les exposent à une surmortalité. J’ai donc participé, en 2016, à la création de l’association les Aînées pour le climat, uniquement dédiée aux femmes suisses de plus de 64 ans.
Puis nous avons lancé une action judiciaire contre notre gouvernement, avec le soutien de Greenpeace Suisse. Entre 2017 et 2020, tous nos recours ont été rejetés par différents tribunaux helvétiques. Nous avons alors joué le tout pour le tout et saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’était la première fois qu’elle devait statuer sur une question liant réchauffement climatique et droits fondamentaux. Et cette fois, la justice nous prenait au sérieux. En mars 2021, la CEDH nous a informées que notre requête serait traitée de manière « prioritaire ». Un an plus tard, elle a été transférée à la Grande Chambre et ses 17 juges, réservée à des procédures exceptionnelles et complexes. Ces décisions ont été incroyablement motivantes.
Notre action a beaucoup suscité l’attention des médias, mais aussi d’autres ONG ou d’écoles qui nous invitaient à participer à des forums. Et avouons-le, la discussion n’était pas toujours évidente. À juste titre, la jeune génération, qui sera frappée de plein fouet par les conséquences du bouleversement climatique, nous tient pour responsables. Nous, « les vieux ». Certes, une partie d’entre nous y a participé, mais une autre a aussi résisté comme elle a pu. Je rappelle souvent aux jeunes que les femmes suisses n’ont pu voter qu’à partir de 1971 ! Par ailleurs, le combat des Aînées ne concerne pas seulement les seniors, et encore moins ceux d’aujourd’hui. Nous n’en verrons pas les issues positives de notre vivant.
Le verdict de la CEDH rendu le 9 avril 2024 est donc une bouffée d’espoir pour tout le monde. À titre personnel, c’est une incroyable victoire après 8 ans de marathon. Mais elle ne marque pas la fin du combat. L’arrêt à peine rendu, des élus suisses de la majorité ont appelé à ne pas l’appliquer. Ce serait profondément honteux quand on sait que nous n’avons jamais ignoré une décision de la CEDH en 50 ans. Le gouvernement a maintenant un peu moins de 6 mois pour présenter sa feuille de route et des mesures respectant l’Accord de Paris. Cette condamnation de la Confédération fait aussi jurisprudence pour les 46 pays du Conseil de l’Europe, dont la France. Les tribunaux de chacun de ces États pourraient donc l’invoquer. »
Les procès climatiques, un mouvement mondial
En 2015, aux Pays Bas, la justice ordonne, pour la première fois, à un gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Cette affaire, baptisée Urgenda, a été l’étincelle pour de nombreux militants et ONG, à l’instar des Aînées suisses ou « l’Affaire du siècle » en France. Lancée en 2018, cette dernière a obtenu la condamnation de l’État français en 2021. Le gouvernement avait alors un an pour prendre des mesures structurelles et redresser sa trajectoire. Des mesures manquant toujours à l’appel selon les requérants qui se sont pourvus en cassation au printemps 2024. À l’échelle de la planète, près de 3000 procès climatiques sont en cours.