Domitille Vey
Rédactrice technique
Nous avons analysé 26 huiles pour vérifier qu’elles étaient bien « vierge extra » comme annoncé. Résultat : 16 ont été déclassées dans la catégorie inférieure. Du jamais vu chez Que Choisir !
Décidément, ça ne s’arrange pas ! Les résultats de notre test sur 26 huiles d’olive révèlent que 16 d’entre elles ne méritent pas la qualification « vierge extra » mentionnée sur l’étiquetage et sont donc déclassées en simple « vierge ». Un score jamais atteint lors de nos précédents bancs d’essai (à titre d’exemple, 5 huiles déclassées sur 25 en 2019, 6 sur 15 en 2017, 8 sur 28 en 2015). Le phénomène n’est donc pas nouveau mais, fait inquiétant, il semble s’aggraver d’année en année. Nous ne sommes pas les seuls à faire ce constat. Selon les tests effectués récemment par le magazine italien Il Salvagente sur une quinzaine de produits, près de la moitié n’était pas, en réalité, de qualité supérieure. Si la consommation de ces produits déclassés ne présente pas de risque pour la santé, l’usurpation de la qualification « vierge extra » met à mal la crédibilité d’une mention supposée garantir un produit haut de gamme.
La vente d’huile d’olive est pourtant très réglementée. Fer de lance du régime méditerranéen, l’huile d’olive vierge est un pur jus de fruit, qui doit être extrait exclusivement par des moyens mécaniques, donc sans raffinage. Revers de la médaille : elle s’oxyde rapidement (rancissement) et perd la majeure partie de ses vertus organoleptiques et nutritionnelles en moins de deux ans. Cette fragilité du produit et les risques d’altération dus à de nombreux facteurs de production (qualité des olives, laps de temps entre la cueillette et le pressage, hygiène du moulin, conditions de conservation et de transport, etc.) ont conduit le Comité oléicole international (COI) à définir deux grandes catégories d’huile vierge : « vierge » et « vierge extra ». Avant d’être mise sur le marché, une huile d’olive doit donc subir une batterie de tests physicochimiques et sensoriels dans des laboratoires agréés par les autorités européennes pour déterminer à quelle catégorie elle appartient. Pour être « vierge extra », une huile doit présenter, entre autres paramètres, un taux d’acidité oléique (indice d’oxydation) maximum de 0,8 % alors qu’il peut aller jusqu’à 2 % pour l’huile « vierge ». Au-delà, l’huile est déclassée en « lampante » (impropre à la consommation et réservée à des usages industriels). Sur le plan organoleptique, on exige aussi d’une huile vierge extra l’absence complète de défauts gustatifs (« rance », « moisi », « humide ») et un certain niveau de fruité (ensemble des sensations olfactives qui caractérisent l’huile d’olive).
Malgré cette réglementation qui se veut draconienne, comment expliquer les non-conformités révélées par notre banc d’essai ? Contactées par Que Choisir, les marques incriminées se défaussent sur la distribution en affirmant, bulletins d’analyses à l’appui, qu’au moment de leur mise sur le marché, ces produits étaient bien certifiés « vierge extra ». Certes les conditions de stockage ou de transport des bouteilles ne sont pas toujours idéales. « Si, à l’origine, les huiles sont de bonne qualité, elles devraient normalement supporter ces aléas sans difficulté », estime cependant Jean-René de Fleurieu, producteur de l’huile Château de Montfrin (classée plusieurs fois « meilleur choix » dans des tests précédents de Que Choisir) et distribuée par Monoprix.
Le véritable problème réside dans la course effrénée aux prix bas qui conduit à la mise sur le marché par certains opérateurs de lots d’huile d’olive flirtant souvent avec les limites inférieures de leur catégorie. « À trop jouer avec les seuils réglementaires, ces huiles sortent des clous au bout de quelques mois, bien avant l’échéance de la DDM (date de durabilité minimale) du produit », constate Christian Pinatel, directeur du centre technique de l’olivier (CTO). Il est vrai que nos analyses ne portant que sur un seul lot de chaque huile, on ne peut parler de fraudes systématiques ou intentionnelles de la part des marques épinglées. Il n’en reste pas moins que, pour les lots incriminés, les produits testés n’étaient pas conformes ! Les consommateurs malchanceux qui les ont achetés ont donc été floués. Ils ne sont pas les seuls. « Dans la course aux prix d’appel, les professionnels sérieux se font de plus en plus souffler les marchés de la grande distribution par des opérateurs beaucoup moins scrupuleux », déplore Christian Pinatel.
Car il ne faut pas s’y tromper, aucune des grandes marques présentes sur le marché ne possède ses propres oliveraies. Ce sont avant tout des embouteilleurs qui s’approvisionnent sur un marché mondial. L’immense majorité des huiles vendues en grande surface sont donc issues d’assemblages d’huiles de diverses provenances (Espagne, Italie, Grèce, Tunisie, etc.) dont la composition varie en fonction des récoltes et des disponibilités sur le marché. La production française d’huile d’olive, quant à elle, est infinitésimale et couvre à peine 3 % ou 4 % de notre consommation, malgré les noms à consonance provençale de certaines marques. L’éloignement des bassins de production et la multiplication des intermédiaires augmentent les risques de malversations, d’autant que les marges sont confortables. « Alors que le coût moyen de production d’un litre d’huile d’olive est de 2,78 €, le prix moyen du litre vendu en France, lui, varie de 5,80 € en grande et moyenne surface (GMS) à 20 € sous signe de qualité. Il peut même atteindre jusqu’à 60 € le litre lorsque l’huile d’olive est commercialisée par des groupes de luxe en flaconnages particuliers », avertit le site de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (1) avant d’ajouter : « Cet écart important sur le prix du litre d’huile d’olive au stade de sa commercialisation, et la forte demande des consommateurs, incitent certains professionnels à recourir à des comportements frauduleux afin d’accroître leurs bénéfices. »
Dans le cadre de leur plan de contrôle annuel (réalisé en 2019 et publié en 2021) (2), les services de la Répression des fraudes ont contrôlé 240 établissements (importateurs, producteurs, détaillants) et prélevé 122 échantillons. 28 ont été déclarés « conformes », 34 « à surveiller » (en raison principalement de défauts d’étiquetage) et 60 « non conformes » (essentiellement en raison d’anomalie gustative et dans de très rares cas en raison d’une composition présentant un risque pour le consommateur). « Le surclassement des huiles d’olive à la catégorie supérieure reste l’anomalie principale […] avec la non-conformité relative à la qualité organoleptique », conclut le rapport. Et de citer le cas d’un industriel qui a choisi de réorienter ses lots déclassés de « vierge extra » à « vierge » directement vers une filière autre que l’alimentation humaine, c’est dire la qualité du produit incriminé ! Dommage que la DGCCRF persiste à refuser de diffuser l’identité des contrevenants. Gageons que si les noms des marques épinglées étaient rendus publics, l’effet dissuasif des contrôles en serait grandement multiplié.
Bien sûr, les taux élevés d’infractions relevées par la DGCCRF ne sont pas représentatifs du marché du fait du ciblage opéré par les enquêteurs (contrairement au panel test de Que Choisir qui a été sélectionné au hasard parmi les marques les plus représentées en GMS). Mais dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit que d’un coup de sonde parmi les 110 millions de litres d’huile d’olive consommés chaque année en France. Or rien ne ressemble plus à une huile qu’une autre huile. « Du fait de sa forme liquide, l’huile peut facilement être mélangée et accompagnée de fausses déclarations. Même les meilleurs systèmes de traçabilité ne sont pas toujours capables de suivre et d’identifier complètement tous les volumes produits », constatent les auteurs du dernier rapport d’Oleum, un consortium de chercheurs universitaires et de laboratoires privés dont l’objectif est de trouver des solutions pour garantir la qualité et l’authenticité de l’huile d’olive (3). Face à cette nébuleuse, « il est urgent d’améliorer encore et toujours les méthodes d’analyses, les fraudeurs ayant toujours un coup d’avance », conclut le rapport.
Côté réglementaire, il faudrait aussi durcir les critères d’obtention de la dénomination « vierge extra », notamment en abaissant le taux d’acidité oléique jugé trop laxiste par de nombreux professionnels. Cette mention est devenue un vaste fourre-tout où coexistent des produits médiocres comme des produits premium. Autre point critique : la DDM. Fixée par les opérateurs eux-mêmes, celle-ci varie selon les marques entre 12 et 24 mois. L’ennui, c’est qu’elle est calculée à compter de la date d’embouteillage. Or il arrive parfois qu’une huile reste stockée en cuve pendant deux ans avant d’être mise sur le marché. Rarement affichée sur les étiquettes, la date de récolte des olives devrait pourtant être rendue obligatoire. C’est la seule façon pour le consommateur de connaître l’état de fraîcheur de l’huile qu’il achète !
Les huiles d’olive sont classées en différentes catégories définies par la réglementation européenne. Leur mention est obligatoire sur l’étiquetage des produits.
L’huile d’olive vierge est obtenue par le pressage des olives via des procédés exclusivement mécaniques, dans des conditions qui empêchent toute altération du produit. Les huiles d’olive vierges sont à leur tour classées en trois groupes, selon leur composition et leurs caractéristiques organoleptiques :
L’huile d’olive sans autre qualificatif est composée d’huile d’olive raffinée et d’huile d’olive vierge.
L’huile de grignons d’olive est obtenue à partir des résidus solides issus du pressage, en particulier des peaux, des pulpes et des noyaux (appelés grignons).
(1) www.economie.gouv.fr/dgccrf/huile-dolive-origine-toujours-incertaine
Domitille Vey
Rédactrice technique
Florence Humbert
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