Fabrice Pouliquen
Huile de palmeProcès perdu et mauvais coup de pub pour Nutella
Se sentant visé par le spot publicitaire d’un concurrent, qui vantait sa pâte à tartiner sans huile de palme, Ferrero l’avait attaqué en justice. Le géant de la pâte à tartiner a non seulement perdu en appel, mais a ainsi remis au premier plan son choix controversé de garder l’huile de palme dans sa recette.
C’est raté pour Ferrero… Le groupe italien, qui s’approprie plus de 66 % du marché français de la pâte à tartiner avec sa marque Nutella, n’avait guère goûté un spot télé de son concurrent Rigoni di Asiago, diffusé en France en 2019 et 2020 (voir photo ci-dessous). Ce dernier mettait en avant le côté bio de sa pâte à tartiner Nocciolata, « sans huile de palme », insistait la vidéo dans laquelle un orang-outang finissait par faire un gros câlin à une maman et son fils, tous trois installés dans une balancelle de jardin.
Si à aucun moment il n’est mentionné, Ferrero y a tout de même vu une attaque à peine déguisée contre son Nutella, régulièrement pointé du doigt pour l’incorporation d’huile de palme dans sa recette.
Nutella débouté en appel
Peu chère et d’un rendement imbattable, l’huile de palme est l’huile végétale la plus consommée au monde. À 80 % dans l’alimentaire, 10 % dans les cosmétiques et 10 % les biocarburants. Mais sa production contribue à la déforestation dans les régions tropicales. Particulièrement en Asie du Sud-Est, l’Indonésie et la Malaisie assurant à eux deux près de 85 % de la production mondiale.
Vexé par ce spot publicitaire de Rigoni di Asiago, Ferrero avait assigné en justice, en France, la PME italienne pour « dénigrement et parasitisme ». Après une première décision en sa défaveur, le géant de la pâte à tartiner vient également de perdre en appel, indiquait le 12 janvier le média en ligne L’Informé. La filiale française de Ferrero est ainsi condamnée à payer à Rigoni Di Asiago France une indemnité de 10 000 €.
Du 100 % certifié durable qui ne résout pas le problème ?
Si le montant reste symbolique, ce procès perdu est un mauvais coup de pub pour Ferrero qui fait le choix de maintenir l’huile de palme dans son Nutella. Cet ingrédient assurerait la texture lisse et crémeuse de sa pâte à tartiner, se justifie-t-il. En parallèle, Ferrero communique sur la politique stricte qu’il dit appliquer pour garantir ses approvisionnements en huile de palme 100 % traçables et durables. L’entreprise s’appuie pour cela sur le label RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), créé en 2004 par une coordination d’acteurs, dont l’ONG WWF, et qui liste un ensemble de critères environnementaux et sociaux à respecter pour obtenir la certification. Dont celui de garantir que les défrichements de terre, dans ces plantations certifiées, n’aient endommagé aucune forêt à haute valeur de conservation ou à hauts stocks de carbone. WWF classe ainsi régulièrement Ferrero aux tout premiers rangs de son classement des grandes entreprises acheteuses d’huile de palme en fonction de leurs efforts pour s’approvisionner de manière durable (1er sur 173 en 2020, 3e sur 223 en 2021).
Canopée Forêts vivantes, une association filiale des Amis de la Terre spécialisée dans la défense des forêts, n’est pas aussi dithyrambique. Déjà à l’égard de ce label RSPO qui n’est pas sans failles, selon l’ONG. « Il protège certes les très belles forêts primaires, mais il permet en revanche la déforestation de forêts secondaires, pointe Sylvain Angerand, coordinateur de campagne de Canopée. Certes, celles-ci sont souvent dégradées, mais on pourrait justement les restaurer plutôt que les détruire pour faire de la place à de nouvelles plantations. Toutes les forêts sont importantes, surtout dans des pays où l’on a beaucoup déforesté ces dernières années. » D’autres limites sont régulièrement pointées par les ONG, « pas seulement contre la RSPO mais la certification en général, poursuit Klervi Le Guenic, chargée de campagne forêts tropicales à Canopée. Souvent, ces systèmes pèchent par leur manque d’indépendance, puisqu’ils fonctionnent grâce à l’argent des structures certifiées. »
Impossible de faire sans huile de palme ?
Or, tout le problème avec l’huile de palme est que la demande mondiale (en zones tropicales) a explosé ces dernières décennies. De 5 millions de tonnes par an consommées dans les années 1980, on dépasse désormais les 76 millions. Et ce rythme ne devrait pas fléchir dans les prochaines années, notamment porté par l’Inde, premier importateur mondial et qui en consomme trois fois plus qu’il y a 20 ans, rapportait le journal Les Echos en octobre 2019. Difficile alors pour la culture de palmiers à huile de suivre, d’autant plus qu’elle ne peut se faire que dans des régions ciblées du globe.
C’est là le principal reproche que Klervi Le Guenic fait à Ferrero. « Quand de plus en plus d’entreprises font le choix de se passer d’huile de palme, y compris pour faire des pâtes à tartiner, il fait croire que cela lui est impossible et qu’il suffit de passer par un label pour que ça ne pose plus de problème. » Certes, avec un peu plus de 200 000 tonnes par an, les approvisionnements du groupe italien en huile de palme ne sont qu’une goutte d’eau par rapport à la demande mondiale. « Ce n’est pas négligeable pour autant et qu’il s’en détourne serait un symbole important », estime-t-elle.