Anne-Sophie Stamane
Grossesse et médicamentsDes pictogrammes trop anxiogènes !
Depuis octobre 2017, les pictogrammes « danger » ou « interdit » à destination des femmes enceintes ont fait leur apparition sur les boîtes de médicaments. En pratique, les laboratoires pharmaceutiques les ont aussi apposés sur des spécialités ne présentant pas de danger avéré… au risque d’affoler les femmes enceintes, et de les pousser à arrêter des traitements indispensables.
Avertir les femmes enceintes des risques liés aux médicaments absorbés pendant leur grossesse, c’est l’intention louable d’un décret applicable depuis le 17 octobre 2017. Sauf que les firmes pharmaceutiques n’ont pas fait dans la nuance : elles ont apposé les pictogrammes « danger » et « interdit » aux femmes enceintes sur tous les médicaments ayant montré un effet malformatif ou reprotoxique sur l’animal, le plus souvent à hautes doses, au mépris de données souvent bien établies et très rassurantes chez l’être humain. Résultat : 60 à 70 % des spécialités sur le marché arborent ou vont arborer à terme l’un ou l’autre de ces pictogrammes. C’est considérable ! De son côté, le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT), rattaché à l’hôpital Trousseau, qui détient une expertise fine et solide de l’effet des médicaments sur l’enfant à naître, compte une quinzaine de substances tératogènes chez l’humain ; une quarantaine sont fœtotoxiques. Soit, au total, « environ 10 % des spécialités sur le marché ».
L’enjeu n’est pas négligeable : alertées par ces pictogrammes d’un risque pour l’enfant qu’elles portent, certaines femmes enceintes peuvent être amenées à arrêter brutalement de prendre un médicament pourtant essentiel à leur santé et à celle de leur bébé. Ainsi, pour l’asthme, un traitement de fond à base de corticoïdes inhalés est parfois nécessaire. Il doit être pris y compris pendant la grossesse, pour éviter une exacerbation de la maladie et des difficultés respiratoires préjudiciables à la mère et à l’enfant. Malgré tout, un pictogramme « danger » figure maintenant sur l’emballage de la plupart des spécialités prescrites dans l’asthme… De même, l’aspirine, parfois donnée à faible dose pour limiter le risque de pré-éclampsie, comporte maintenant un pictogramme susceptible d’entraver l’observance du traitement.
Les exemples aberrants ne manquent pas. Le CRAT demande une réécriture du décret, tout en conservant « l’intention initiale » de protéger les femmes enceintes et leurs bébés de certains médicaments réellement dangereux. Il s’agirait, logiquement, de réserver les pictogrammes aux « seules substances ayant fait la preuve de leur effet délétère pour tout ou partie de la grossesse humaine […] ». Le CRAT met une liste à la disposition des autorités de santé. Liste qui peut d’ores et déjà être consultée par les médecins et les femmes enceintes. Nous ne pouvons qu’encourager sa consultation(1) !
Le valproate interdit aux filles et aux femmes
Le décret sur les pictogrammes à destination des femmes enceintes vient de l’affaire « Dépakine ». De nombreux enfants sont nés malformés et/ou ont développé des troubles du spectre autistique parce que leur mère, épileptique ou bipolaire, pas ou peu informée par les médecins, a continué à prendre du valproate de sodium (Dépakine) ou un de ses dérivés (Dépamide, Dépakote, etc.) pendant sa grossesse. Des mesures ont été prises pour limiter la prescription de ces molécules aux filles et femmes en âge de procréer. Dernière en date : la Commission européenne a acté l’interdiction de prescription aux femmes enceintes ou adolescentes et femmes en âge de procréer. Seule une absence totale d’alternative thérapeutique pourra justifier une exception. Encore faudra-t-il suivre un plan « prévention grossesse », qui comprend l’obligation d’avoir une contraception efficace.
(1) Liste disponible sur http://lecrat.fr/spip.php?page=article&id_article=742