Fabienne Maleysson
Non, manger des fraises en hiver n’est pas « responsable »
Exemple type des dérives des labels privés, un logo présenté comme lié au respect de l’environnement et qui ne tient compte ni des saisons ni du transport.
À l’heure où l’Union européenne tente de mettre fin au greenwashing, trouver en plein hiver des fraises venues du Maroc, emballées sous plastique et ornées d’un logo « Produit responsable » sonne comme un anachronisme. Nous avons pourtant pu les acheter à la mi-janvier dans un magasin Carrefour parisien. Uniquement pour des raisons professionnelles, car pour l’intérêt gustatif, il n’y a rien à en attendre. « Les fraises importées sont d’une variété sélectionnée pour sa résistance au transport. De gros calibre [ici 7 fraises dans une barquette de 250 g, ndlr], elles tiennent deux semaines mais elles sont dures et n’ont aucun goût », tacle le responsable d’une organisation professionnelle de producteurs français.
Côté environnement, impossible d’ignorer la contradiction flagrante entre la mention suggérant qu’on ferait un geste pour la planète en achetant cette barquette et la réalité. Consommer le plus local possible et de saison font partie des impératifs prioritaires pour qui veut limiter l’impact environnemental de son assiette. Comme le rappelle l’Agence de la transition écologique (Ademe), « si notre alimentation pèse aussi lourd sur l’empreinte carbone de la France (elle représente ¼ des émissions globales du pays), c’est en partie parce que nous consommons beaucoup de produits hors saison ». Et de donner deux exemples : une tomate hors saison génère 4 fois plus de gaz à effet de serre qu’une autre achetée entre juin et septembre ; 1 kg de fraises consommées en hiver génère 40 % d'émissions de gaz à effet de serre de plus qu’en été.
Un message éloigné de la réalité
Alors, à quoi rime ce logo « produit responsable » ? Si on y regarde de plus près, il a été mis en place par l’association de professionnels Demain la Terre qui délivre un label lié à « 10 thèmes relatifs au développement durable ». Par exemple, « réduire l’usage des pesticides »… Sans aller jusqu’aux contraintes du bio ! Ou encore, préserver la ressource en eau, la qualité des sols, etc. Mais aucun critère ne porte sur la saisonnalité ou la proximité entre lieu de production et lieu de consommation, des points pourtant fondamentaux. Consommer le plus près possible du lieu de culture, c’est avant tout réduire les émissions de gaz à effet de serre dues au transport, mais c’est aussi pouvoir éventuellement se passer de suremballage. Cette impasse sur des exigences essentielles explique comment on peut se retrouver avec un message aussi éloigné de la réalité.
Plus largement, la multiplication des labels privés nuit à la bonne information de la clientèle sur les produits en rayon. Car chacun y va de son cahier des charges, choisit ce qui l’arrange sans que le commerce en soit trop entravé, les consommateurs ne sont pas consultés sur le contenu des référentiels (contrairement à ce qui se passe pour les labels officiels) et ceux-ci ne sont pas publics si bien que personne ne peut se faire une idée de leur pertinence. Dans le cadre de la chasse aux mentions environnementales globalisantes insuffisamment étayées, les services des fraudes auront fort à faire avec ces logos malvenus.