Erwan Seznec
Le nez dans le foncier
L'Autorité de la concurrence a décidé de se pencher sur le problème de l'immobilier commercial en cherchant à savoir si certaines enseignes ne bloquaient pas délibérément les implantations de leurs concurrents. Les contrats de franchise seront aussi étudiés.
Le serpent de mer resurgit. L'Autorité de la concurrence a annoncé le 25 février son intention de se saisir d'une question récurrente concernant la grande distribution, celle du gel du foncier commercial. Pour empêcher un concurrent de s'installer à sa porte, quoi de plus simple que de rafler préventivement tous les emplacements disponibles ? « Certains groupes de distribution alimentaire seraient détenteurs de foncier commercial non utilisé, précise l'Autorité de la concurrence, avec pour effet potentiel de diminuer les possibilités d'entrée de nouveaux magasins. »
Sans préjuger des conclusions de l'Autorité, on peut lui pronostiquer une enquête délicate. Le gel des terrains, là où il existe, doit en effet autant à l'astuce des grandes surfaces qu'à la maladresse du législateur. À force de subtilités dans la rédaction des textes encadrant l'urbanisme commercial, les pouvoirs publics ont en fait créé à leur corps défendant des possibilités de sous-utilisation des terrains. Au-delà de 1 000 m2, les ouvertures ou les extensions de grandes surfaces sont soumises au feu vert d'une Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC). L'instruction d'un dossier ne prend que 2 mois, mais une enseigne qui obtient le feu vert a ensuite 2 ans pour déposer une demande de permis de construire. Une fois ce permis obtenu (ce qui prend encore 2 mois en principe, mais jusqu'à 4 si une pièce quelconque manquait dans le dossier !), elle a encore 3 ans pour ouvrir, voire 5 ans pour les projets de plus de 6 000 m2. Résultat, en respectant scrupuleusement la loi, une grande surface peut geler de facto du foncier pendant 5 à 7 ans. Bien entendu, si une association de défense de l'environnement ou de riverains saisit la Commission nationale d'aménagement commerciale (instance de recours) ou le tribunal administratif à un stade ou un autre de la procédure, ces délais peuvent encore être rallongés...
Autre subtilité, il suffit d'acheter un terrain pour en geler plusieurs. En effet, dès lors qu'une CDAC a accordé une autorisation d'ouverture de grande surface, elle considère que cette dernière existe bel et bien, même si elle n'est pas encore construite. Elle ne va donc pas, trois mois plus tard, accorder une autre autorisation dans la même zone à un concurrent, sous peine de se voir accuser de saturer la zone. Bref, compte tenu des possibilités légales de gel du foncier, il faudra qu'une enseigne fasse preuve d'une certaine maladresse pour se faire prendre en flagrant délit de gel illégal.
L'Autorité de la concurrence veut également se pencher sur les contrats d'affiliation liant un indépendant et son franchiseur (Leclerc ou Système U, par exemple). Occuper tout l'espace, c'est bien ; empêcher ses franchisés de passer avec armes et bagages au réseau concurrent, c'est mieux. Souhaitons que la concurrence entre grandes surfaces sorte renforcée de cette double démarche...