Elsa Casalegno
La sécheresse change la donne
Entre manque d’eau et températures caniculaires, les éleveurs ne peuvent plus respecter certaines exigences touchant à l’alimentation des animaux. Quinze appellations ont demandé des « modifications temporaires » des cahiers des charges de la fabrication de leur fromage.
Trop sec, trop chaud : l’été 2022 s’est avéré catastrophique pour les productions agricoles sous signe officiel de qualité (Siqo), en particulier les fromages. Les cahiers des charges des AOP et IGP (Appellation d’origine protégée et Indication géographique protégée) fromagères encadrent strictement l’alimentation des animaux, en imposant par exemple une durée minimale de pâturage ou une part minimale d’herbe pâturée dans la ration, et une origine locale des aliments.
Or, l’herbe n’a pas assez poussé cet été, stoppée par les températures caniculaires. Plusieurs produits sous Siqo ont donc dû demander à bénéficier de modifications temporaires de leur cahier des charges auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao, l’organisme public en charge des Siqo).
15 produits laitiers ont demandé des assouplissements
À ce jour, les demandes concernent 11 fromages et un beurre sous AOP :
- saint-nectaire
- banon
- bleu du Vercors-Sassenage
- abondance
- beaufort
- reblochon
- tomme des Bauges
- fourme de Montbrison
- laguiole
- cantal
- salers
- beurre Charente-Poitou
Ainsi que trois IGP des Alpes :
- tomme de Savoie
- raclette de Savoie
- emmental de Savoie
Durée de pâturage réduite
« Les demandes portent essentiellement sur trois critères : la durée de pâturage, la nature de l’alimentation et son origine », énumère Carole Ly, directrice par intérim de l’Inao. Du fait du manque d’eau et des températures élevées, l’herbe n’a plus poussé, et les prairies ont été réduites à l’état de « paillassons ». Impossible de nourrir vaches, chèvres et brebis uniquement au pâturage, il a fallu apporter du foin ou de l’ensilage. Or, certains cahiers des charges imposent une durée minimale de pâturage voire, pour certains (comme le salers), une alimentation exclusivement à l’herbe.
Ne pouvant pas tenir ces engagements, plusieurs AOP ont été contraintes de demander une dérogation – voire d’arrêter carrément la production, dans le cas du salers. Ainsi, la durée minimale de pâturage pour les vaches de l’AOP reblochon est passée de 150 à 120 jours, expliquent Hubert Dubien et Sébastien Breton, respectivement président et délégué général du Conseil national des appellations d’origine laitières.
Des aliments venus d’ailleurs
Autres points sensibles, la nature de l’alimentation et son origine. Face au déficit de fourrage, il a fallu en autoriser d’autres que ceux validés par le cahier de charges. Il a aussi fallu permettre aux éleveurs de s’approvisionner en aliments provenant d’ailleurs que la zone AOP (dans la limite de 50 % de la ration maximum). « Pour valider les modifications des cahiers des charges, l’Inao demande que les demandes soient justifiées par des éléments concrets. Il évalue aussi l’impact sur la qualité et la typicité du produit, précise Carole Ly. Ces modifications restent marginales. » Elles sont également limitées dans le temps, valables au plus jusqu’au printemps prochain.
Les éleveurs laitiers le savent, le changement climatique les impactera de plus en plus violemment. Les Siqo sont donc en réflexion, à travers le Plan AOP laitières durables, sur les évolutions qu’ils devront mener pour s’adapter, tout en conservant la typicité de leurs produits.
Agneau de Sisteron et piment d’Espelette aussi
La filière laitière n’est pas la seule touchée. Deux autres Siqo ont d’ores et déjà demandé des dérogations : l’agneau de Sisteron (bénéficiant du Label rouge et de l’IGP), ainsi qu’une production végétale, le piment d’Espelette. Pour le premier, les agneaux n’avaient pas assez grossi, il a fallu prolonger la durée d’élevage ; pour le second, des dérogations sur la taille des fruits et les possibilités d’irrigation ont été accordées.
En bio, de la souplesse pour les porcs et volailles
L’Union européenne (UE) a déjà assoupli le nouveau règlement bio, entré en vigueur début 2022. La raison n’est pas le climat, mais la géopolitique… En effet, l’Ukraine est l’un des principaux fournisseurs de l’UE en aliments protéiques bio destinés aux élevages de porcs et de volailles certifiés. L’invasion du pays par la Russie a coupé cette source d’approvisionnement. La Commission a donc donné le feu vert aux États membres pour « déroger temporairement » au règlement (1), en autorisant l’utilisation d’aliments non bio. Cette dérogation est valable 1 an à compter du 24 février 2022, date du début de la guerre.
En France, des discussions sont en cours pour autoriser des aliments non bio, à hauteur de 5 % maximum de la ration des animaux.
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(1) Règlement délégué (UE) 2022/1450 de la Commission du 27 juin 2022, publié au Journal officiel de l’UE le 2 septembre 2022.