Elsa Casalegno
Fraude fiscaleUne amende maxi best of pour McDonald’s
La filiale française du géant américain du fast-food devrait verser au fisc français 1,1 milliard d’euros pour clore une enquête pour fraude fiscale. Un montant historique.
McDonald’s devrait éprouver quelques difficultés à digérer cette annonce… La firme de restauration rapide aurait accepté de payer la bagatelle de 1,1 milliard d’euros à l’État français, selon une information du mensuel Capital (1). Une somme équivalente à 225 millions de Big Mac ! Contacté, McDonald’s n’a pas encore répondu à Que Choisir. Ce montant inédit cumulerait une amende au Parquet national financier et un redressement au fisc. On peut supposer que ce soit cette affaire qui coûte sa place au PDG actuel, Nawfal Trabelsi, aux manettes du groupe depuis 2015 ‒ il laissera sa place à son successeur dès le 1er juin.
La sanction interviendrait dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), une procédure créée par la loi de 2016 relative à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin 2). Cette CJIP permet de clore les poursuites engagées par la justice moyennant le versement d’une pénalité, plus rapidement que dans le cadre d’une procédure pénale. Si elle évite un long procès, elle implique la reconnaissance des faits.
Des prélèvements reversés à une société luxembourgeoise
L’amende clôturerait ainsi une longue séquence judiciaire entamée en 2013, lorsque le fisc français s’est penché sur une nouvelle organisation mise en place par le roi du burger quatre ans auparavant. Les redevances payées par chaque restaurant à McDonald’s France ont doublé en 2009, passant de 5 % à 10 % de leur chiffre d’affaires. Ce prélèvement était ensuite reversé à une société luxembourgeoise, McD Europe Franchising Sàrl (elle-même succursale de la maison mère américaine McDonald’s Corporation), qui bénéficiait du faible taux d’imposition en vigueur dans le Grand-Duché (moins de 1 %). En clair, McDonald’s France diminuait son revenu imposable en France, tandis que les sommes transférées au Luxembourg n’étaient ensuite quasiment pas taxées.
Une fraude fiscale dénoncée par les salariés et les syndicats
Cette évasion fiscale a entretemps été dénoncée par une coalition de syndicats de salariés européens et américains et d’ONG (Effat, Epsu, SEIU, War on Want) dans un rapport publié en 2015, Unhappy Meal (2). Ce document a déclenché l’ouverture d’une enquête de la Commission européenne, qui a conclu en 2018 à une non-conformité au principe d’équité fiscale sans pour autant avoir le pouvoir de sévir. Depuis, McDonald’s Europe a déménagé du Luxembourg vers le Royaume-Uni, désormais plus accommodant fiscalement.
Elle a également suscité en 2016 le dépôt d’une plainte pour « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée » par le comité d’entreprise de McDonald’s Ouest parisien (filiale de McDonald’s France) – plainte à laquelle se sont joints les services fiscaux français. Si cette amende était conclue, ce serait la première fois qu’une fraude fiscale de cette nature, reposant sur les prix de transfert (transactions entre sociétés d’un même groupe résidant dans des États différents), serait sanctionnée. Eva Joly, avocate du comité d’entreprise, s’est félicitée de ce qui serait une condamnation « emblématique » et un signal fort envoyé aux multinationales fiscalement indélicates.
Mise à jour du 16 juin 2022
La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) entre le Parquet national financier et McDonald's France a été homologuée ce jeudi 16 juin lors d’une audience au tribunal judiciaire de Paris, et l’amende définitive est encore plus élevée que le montant initialement évoqué par Capital - il s’agit de la plus importante jamais prononcée en France dans le cadre d’une CJIP.
Après plus de deux ans de tractations, le roi du burger s'est engagé à payer 1,245 milliard d’euros en contrepartie de l'arrêt des poursuites, au titre de :
- Une amende de 508 millions d'euros pour ses pratiques d'évasion fiscale, à la suite de la plainte lancée par le comité d’entreprise de McDonald’s Ouest parisien, une filiale de McDonald’s France, fin 2015.
- Un redressement fiscal avec intérêts de retard et pénalités de 737 millions d’euros à la suite du contrôle fiscal lancé par le ministère des Finances en 2013.
« L’amende validée aujourd’hui ne doit pas faire oublier que l’enseigne profite depuis de nombreuses années des aides de l’État français (CICE, réduction des cotisations…) et a profité du plan de relance du gouvernement lié à la pandémie pour générer des bénéfices massifs », et ce, sans que les conditions de travail des 75 000 salariés de l’enseigne en France ne s’améliorent, nuance la coalition de syndicats et d’ONG à l’origine du rapport Unhappy Meal (SEIU, Effat, Epsu et War on Want). Cette coalition appelle l’UE et les États membres à lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale, qu’il s’agisse de McDonald’s ou d’autres multinationales, et à relever les seuils d’imposition dans l’ensemble des pays de l’UE.
Lire aussi
(2) http://www.notaxfraud.eu/sites/default/files/dw/FINAL%20REPORT.pdf (en anglais)