Roselyne Poznanski
Un accès (bientôt) plus large à la retraite progressive
La retraite progressive doit bénéficier aux salariés en forfait jours réduit, comme c’est le cas pour les salariés à temps partiel. Tel est le sens d’une récente décision du Conseil constitutionnel. Explications.
Autant le dire d’emblée : la retraite progressive, qui organise en fin de carrière une transition douce entre emploi et retraite, est un dispositif très intéressant, mais peu utilisé. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce que les salariés ayant signé une convention en forfait en jours sur l’année, c’est-à-dire les cadres, ne peuvent pas y accéder faute de pouvoir quantifier en heures, ancien et nouveau temps de travail. La retraite progressive impose en effet un temps de travail égal au maximum à 80 % du temps plein de l’entreprise et au minimum à 40 %.
La possibilité de lever le pied en douceur dès 60 ans
Un des intérêts matériels majeurs de cet allégement du temps de travail en fin de parcours professionnel, est d’être compensé pour partie par une pension dite de retraite progressive, versée respectivement par le régime général et par l’Agirc-Arrco (ou par l’Ircantec pour les agents contractuels de la fonction publique). Cette pension, qui ne sera pas déduite des pensions définitives qui seront versées à terme, permet de limiter la perte de pouvoir d’achat due à l’inévitable baisse de salaire (d’autres conditions d’accès énumérées à l’article L. 351-15 du Code de la Sécurité sociale sont également exigées : 60 ans minimum et cumul de 150 trimestres d’assurance retraite). Fin 2019, seuls 21 527 salariés affiliés au régime général étaient inscrits dans ce dispositif.
Une différence contraire au principe constitutionnel d’égalité
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité via la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur le cas d’une salariée disposant d’un forfait en jours réduit qui demandait pourquoi elle ne pouvait pas être considérée comme une salariée exerçant une activité à temps partiel au sens où la réglementation l’entend (art. L. 3123-1 du Code du travail) et pouvoir ainsi bénéficier d’une retraite progressive. Dans sa décision du 26 février 2021 (1), le Conseil constitutionnel constate que les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention individuelle de forfait en jours sur l’année « sont exclus du bénéfice de la retraite progressive, même lorsque cette convention prévoit un nombre de jours travaillés inférieur au plafond légal de 218 jours » alors même qu’ils « exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité́ réduite ». Elle conclut qu’en privant les salariés en forfait jours réduit « de toute possibilité́ d’accès à la retraite progressive, quel que soit le nombre de jours travaillés dans l’année, les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui est sans rapport avec l’objet de la loi ». C’est cette différence qui est considérée comme contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi.
Vers une retraite progressive bénéficiant à plus de salariés ?
De ce fait, le Conseil constitutionnel demande au législateur d’adapter la réglementation afin d’ouvrir les portes de la retraite progressive aux salariés en forfait jours réduit, au plus tard le 1er janvier 2022. Que penser de cette décision ? Qu’elle constitue incontestablement une avancée, même s’il faut savoir que chaque passage à temps partiel, et donc chaque futur passage d’un salarié senior en forfait jours classique à un forfait jours réduit, reste et restera au bon vouloir de l’employeur. Entre autres, c’est ce qui fait dire à Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, qu’en dépit d’une plus grande clarté par rapport à ce qui prévaut aujourd’hui « il ne devrait pas y avoir de grand bond des demandes de retraite progressive par les salariés cadres dans les mois ou les années qui viennent ». Pour Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT en charge des retraites, qui a toujours porté la retraite progressive comme outil de pilotage des fins de carrière, « lever les obstacles juridiques c’est bien, mais encore faut-il que les employeurs acceptent une autre organisation du travail… ».
Pour mémoire, la (feu ?) réforme des retraites votée début 2020, visant à instaurer un système universel de retraite, avait prévu, dès 2022, d’élargir la retraite progressive à tous les cadres ayant signé une convention en forfait jours. Et même aux fonctionnaires et aux professionnels libéraux…
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(1) https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2020885QPC.htm