Fabienne Maleysson
Jugement sévère des agences publiques
Les deux organismes publics qui ont rendu, lundi, leur avis sur la publication de l’université de Caen arrivent à des conclusions similaires. Les faiblesses méthodologiques de cette étude ne permettent pas de conclure à la toxicité de l’OGM en question mais des recherches sur le long terme, au protocole mieux bordé, sont indispensables.
Après l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), c’était lundi au tour du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) (1) de rendre leur avis au sujet de l’étude sur la toxicité du maïs transgénique NK 603, publiée fin septembre par l’équipe de Gilles-Éric Séralini, de l’université de Caen.
Les chercheurs ont nourri des groupes de rats avec différentes doses de maïs NK 603 (tolérant à l’herbicide Roundup) traité ou non au Roundup, ou leur ont donné à boire de l’eau additionnée de ce même herbicide. Ils ont constaté davantage de tumeurs et de pathologies rénales ou hépatiques que dans le groupe contrôle, nourri au maïs conventionnel.
Problème de méthodologie
L’étude a fait l’objet d’une médiatisation inhabituelle qui a conduit le gouvernement à saisir pour avis les deux organismes. Ils avaient pour mission de déterminer si cette publication mettait en lumière un risque sanitaire lié à la consommation de ce maïs et si elle remettait en question les précédentes évaluations portant sur cet OGM. L’Anses devait également répondre à cette question concernant l’herbicide Roundup.
Les deux agences ont rendu leur avis respectif lundi et sont arrivées à des conclusions similaires.
Pour le HCB, « le dispositif expérimental et les outils statistiques utilisés souffrent de lacunes et faiblesses méthodologiques rédhibitoires, qui ne permettent pas de soutenir les conclusions avancées par les auteurs. » Dans un style plus diplomatique, l’Anses dit peu ou prou la même chose : « la faiblesse centrale de l’étude réside dans le fait que les conclusions avancées par les auteurs sont insuffisamment soutenues par les données de cette publication. Celles-ci ne permettent pas d’établir scientifiquement un lien de cause à effet entre la consommation du maïs OGM et/ou de pesticide et les pathologies constatées, ni d’étayer les conclusions et les mécanismes d’action avancés par les auteurs. » En clair, entre ce qui a été observé et l’interprétation qu’en ont fait les chercheurs, il y a un pas que le respect de la rigueur scientifique ne permet pas de franchir.
Dans le détail, les effectifs (10 rats par groupe) sont bien trop limités pour pouvoir conclure que les différences constatées entre les groupes sont statistiquement significatives. Il s’agit d’un point fondamental : dans ces conditions, on peut juste dire que les résultats ouvrent éventuellement une piste de recherche, pas qu’ils prouvent quoi que ce soit. Les chercheurs l’ont d’ailleurs reconnu lors de leur audition devant l’Anses, admettant que « l’étude n’était pas conclusive à elle seule ». Une modération surprenante au vu des précédentes déclarations de l’auteur principal, Gilles-Éric Séralini, qui affirmait au Nouvel Observateur au moment de la sortie de sa publication : « même à très faible dose, l’absorption à long terme de ce maïs agit comme un poison puissant et bien souvent mortel. »
Par ailleurs, souligne le HCB, les chercheurs n’ont pas présenté toutes leurs données brutes, seulement certaines, choisies « sans justification », et les conclusions qu’ils tirent de l’observation de ces données sont des « interprétations spéculatives ». À titre d’exemple, ils évoquent des insuffisances rénales sans que les données biologiques observées (analyses d’urine notamment) les corroborent.
Transparence indispensable
Les deux organismes le reconnaissent cependant, cette publication a le mérite de mettre en lumière l’insuffisance des connaissances sur la toxicité des OGM et des pesticides. En particulier, les études de long terme manquent cruellement. L’Anses recommande d’engager ce type de recherche à la fois sur les OGM, sur les pesticides et sur l’exposition concomitante aux deux. En effet, de nombreuses plantes transgéniques sont conçues pour tolérer un herbicide, souvent le Roundup, elles sont donc susceptibles d’en être largement arrosées. Ces recherches devraient, selon l’agence, être financées par des fonds publics.
Enfin, le HCB a fait remarquer que les données des industriels devraient être publiées. De fait, il est anormal que les OGM soient autorisés sur la base d’études de toxicité menées par les semenciers eux-mêmes, sur 90 jours seulement, et tenues secrètes. « Maintenant, la transparence est indispensable de la part de tous », a conclu son président.
Au vu de ces deux avis, le gouvernement va demander à Bruxelles la remise à plat du dispositif communautaire d’évaluation, d’autorisation et de contrôle des OGM et des pesticides.
(1) Le HCB éclaire le gouvernement sur les questions ayant trait aux biotechnologies, notamment aux OGM ; l’Anses, comme son nom l’indique, intervient dans un champ beaucoup plus large.