Marie-Noëlle Delaby
États généraux de l’alimentationQuelles avancées pour les consommateurs ?
Les États généraux de l’alimentation (EGA) se sont clôturés le 21 décembre. Que retenir de cette grande concertation qui, durant cinq mois, au travers de 14 ateliers, a vu agriculteurs, industriels, distributeurs – et, dans une bien moindre mesure, le monde associatif dont l’UFC-Que Choisir – se mettre autour de la table pour discuter de l’alimentation de demain ?
Agriculteurs, industriels de l’agroalimentaire, distributeurs, pouvoirs publics, associations… Tous se sont réunis, à l’appel d’Emmanuel Macron, dans le cadre des États généraux de l’alimentation qui se sont achevés jeudi 21 décembre. Cinq mois de travail pour tenter d’ébaucher les futurs axes de la politique agricole et alimentaire hexagonale. Un grand chantier qui laisse nombre de projets en friche.
Les consommateurs, simples spectateurs des réformes
En effet, la grande majorité des conclusions des ateliers ne feront pas l’objet d’une traduction législative. « 10 à 15 % de ce matériel donnera lieu à des lois », indiquait le 21 décembre Sophie Delaporte, directrice de cabinet du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, en amont de la clôture des États généraux. Prévue d’ici la fin du premier semestre 2018, la future loi concernera avant tout les rapports entre producteurs et grande distribution, laissant le consommateur à la marge.
Parmi les principales mesures du gouvernement : l’obligation de contrats formalisés entre grande distribution, industriels et producteurs afin d’inverser la formation du prix qui partira du coût de production. Désormais, ces contrats devront notamment faire référence au prix de revient agricole défini par les organisations de producteurs, afin de mieux rémunérer les producteurs. Si l’on ne peut que saluer cette initiative, d’autres mesures sont plus contestables.
Seuil de revente à perte : une mesure plus que discutable
Pour soutenir les producteurs et « faire la guerre à la guerre des prix » que se livrent la grande distribution et ses fournisseurs, le gouvernement va imposer, à titre d’expérimentation pour deux ans, deux mesures phares. La première, un encadrement des promotions dans les grandes surfaces qui ne pourront plus être supérieures à 34 % du prix normal et à 25 % du volume annuel vendu.
La seconde, un seuil de revente à perte de 10 % sur les denrées alimentaires. En clair, les distributeurs seront obligés de revendre au minimum tout produit alimentaire au prix où ils l’ont acheté majoré de 10 %. Une mesure très contestable car si l’effet d’annonce est retentissant, il serait naïf de croire que, spontanément, la grande distribution va répercuter les marges supplémentaires sur les industriels et, par ruissellement, sur les agriculteurs. À ce sujet, voir notre analyse du seuil de la revente à perte.
Des plans de filière à ficeler
« Ces lois serviront d’ossature à l’avenir agroalimentaire de la France qui prendra toute sa chair via les plans de filières. » Initialement prévus pour mi-décembre, ces plans de transformation par secteurs, soit une trentaine (sucre, lapin, œuf, céréales ou encore génétique animale ou semences…), viennent d’être remis au gouvernement et doivent encore être étudiés par ce dernier. « À eux [les secteurs] d’intégrer les recommandations des ateliers dans les plans qu’ils vont dessiner », résume la représentante du ministère alors que certaines familles, comme la filière viticole, renâclent à rendre leur copie et que la plupart n’ont pas encore entamé de discussion avec la société civile et notamment le monde associatif. « Des rencontres sont planifiées pour janvier », précise le ministère.
Publicité : pas d’avancées dans la loi
On regrettera le peu de prise en compte des conclusions de l’atelier 9, dont le thème était : « Faciliter l’adoption par tous d’une alimentation favorable à la santé ». Un axe de réflexion riche, qui avait notamment permis d’ébaucher des recommandations sur la limitation de la publicité visant les enfants. Le sujet a suscité de vifs débats, reconnaît Sophie Delaporte : « il est vrai que la charte du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) sur la publicité date d’il y a 10 ans et doit évoluer pour prendre en compte l’exposition des consommateurs et notamment des plus jeunes aux publicités à travers les nouveaux médias et Internet ». Mais les annonceurs et producteurs ont défendu leur bout de gras, agitant le chiffon rouge de possibles pertes économiques en cas de suppression des publicités pour le soda et les friandises. Au final, recul gouvernemental, pas d’article de loi sur ce sujet et chantier à poursuivre pendant le premier semestre 2018.
Où est passé le bio ?
« Accompagner la transformation des modèles de production afin de répondre davantage aux attentes et aux besoins des consommateurs ». C’était l’un des grands objectifs. Au final, le bio a été peu retenu dans les conclusions de ces États généraux. Il fera donc l’objet d’un plan d’action « bio-économie » à part, dont les grandes lignes devraient être dessinées d’ici fin février 2018. Il devrait notamment définir et encadrer un objectif de 8 % de terres converties en bio en 2020 (contre moins de 5,8 % actuellement).
La lutte contre le gaspillage s’élargit
Côté points positifs, on relèvera tout de même une volonté d’étendre la loi sur le gaspillage alimentaire qui oblige actuellement les grandes surfaces de plus de 400 m2 à passer des accords avec des associations pour le don des denrées consommables à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire. « Reste à définir un seuil qui ne sera non pas une surface minimale, comme pour les magasins, mais probablement un nombre de repas servis pour les cantines et reste à définir pour les industriels », précisait le 21 décembre Stéphanie Delaporte.
Enfin, concernant la restauration collective, il devrait également être inscrit dans la loi l’obligation de proposer un minimum de produits locaux, bio ou d’autres signes de qualité (Label rouge, pêche durable…). Mais la loi ne contiendra pas de seuil minimal, bien que le chiffre de 50 % ait circulé. « Ces 50 % seront bien respectés et inscrits dans le décret issu de la loi », promet la secrétaire d’État sans que son découpage entre les différentes sous-catégories soit, pour l’heure, connu.
Souhaitons que le gouvernement sache respecter ces quelques engagements pris à travers des États généraux peu généreux pour le consommateur. L’UFC-Que Choisir et les membres de la plateforme citoyenne pour une transition agricole et alimentaire, vont œuvrer activement en ce sens.
La politique de l’eau cruellement oubliée
Alors que l’eau est le fondement de notre alimentation et de l’agriculture, comment ne pas s’indigner que cette thématique, incluse de haute lutte dans les conclusions des débats, n’ait pas été reprise dans les livrables de l’atelier. Faut-il rappeler que l’agriculture intensive, responsable de 70 % des pollutions en pesticides et de 75 % des pollutions en nitrates, ne paie que la plus faible partie de la réparation de ces dommages environnementaux (7 % de la redevance « pollutions » des agences de l’eau), le reste étant très majoritairement financé par les consommateurs, en violation flagrante du principe de pollueur-payeur ? Pourtant, aucune des propositions formulées n’a été retenue pour inverser cette politique qui, non seulement pénalise les consommateurs mais, en outre, n’incite aucunement l’agriculture intensive à modifier ses pratiques.