
Boris Cassel
Accélérées par le réchauffement climatique, l’érosion côtière et la multiplication des inondations pourraient rendre inhabitables plus de 2 000 logements sur la côte méditerranéenne d’ici à 25 ans. Malgré le risque financier important, les maisons et appartements en bord de mer trouvent toujours preneur à des prix élevés. Dans un récent rapport, la Cour des comptes alerte sur ce « marché immobilier encore aveugle aux risques » et le régime d’indemnisation des catastrophes « sous tension ». Cette situation nécessite une « opération vérité » sur le « coût de la vulnérabilité physique du littoral méditerranéen ».
La Méditerranée va-t-elle emporter le patrimoine de milliers de propriétaires ? Le risque est, malheureusement, bien réel. Comme nous vous l’expliquions il y a quelques semaines, un peu partout en France, l’immobilier de bord de mer est menacé par la montée en puissance des « risques littoraux ». Il s’agit, notamment sous l’effet du réchauffement climatique, d’une accélération des phénomènes d’érosion côtière (la mer qui « mange » la terre) et des inondations provoquées, entre autres, par la submersion marine (des vagues d’eau de mer déferlant dans les terres). Très urbanisée, la côte méditerranéenne n’échappe pas à ces phénomènes, bien au contraire. Selon le Cerema, un organisme indépendant, l’érosion côtière menace directement 2 011 logements dans les régions Paca, Occitanie et Corse. À l’horizon 2100, les évaluations s’emballent : 55 297 habitations seront menacées.
Dans un récent rapport intitulé « L’aménagement du littoral méditerranéen face aux risques liés à la mer et aux inondations », la Cour des comptes tire le signal d’alarme : « Le sentiment d’exposition à la menace des habitants du littoral, comme parfois celui des élus, reste insuffisant. » Cette difficulté à prendre en compte ce danger grandissant se traduit dans les prix de l’immobilier. « Le marché de l’immobilier ne tient pas encore compte des conséquences immédiates de la surexposition aux risques, de l’érosion du trait de côte et de l’élévation du niveau marin. Le désir de rivage prime sur les risques auxquels le bien est confronté », pointent les sages de la rue Cambon, qui qualifient le marché immobilier d’« aveugle ». Signe de cette cécité collective, « plus le bien est au contact des risques littoraux, plus sa valeur augmente, avec des prix moyens ou médians au mètre carré bâti ou habitable plus élevés que la moyenne ». Des exemples ? « Au Grau-du-Roi (Gard), le prix de vente médian au mètre carré bâti (4 966 €) en zone d’aléa “fort” du plan de prévention des risques inondation est supérieur à celui constaté sur la commune. Il en est de même pour Frontignan-Plage (Hérault), avec un prix de 3 880 € par mètre carré habitable contre une moyenne communale de 2 720 € », constatent les magistrats.
Ironie de l’histoire, lorsque les autorités mettent en place des contraintes administratives pour limiter les constructions dans les zones le plus susceptibles d’être frappées par une catastrophe, les acheteurs ne fuient pas le quartier. « Les contraintes d’inconstructibilité sont même de nature à alimenter le renchérissement des biens », souligne la Cour des comptes. Pour appuyer son propos, l’institution financière a épluché les « déclarations d’intention d’aliéner » de certaines communes. Il s’agit d’une démarche administrative obligatoire dans les zones soumises à droit de préemption, qui consiste pour les propriétaires à signaler à la mairie qu’ils vont mettre leur bien en vente. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Au Grau-du-Roi (Gard), près de 83 % des ventes de logements réalisées entre 2017 et 2022 étaient exposées à des risques d’inondation ou de submersion marine », assure la Cour des comptes.
Les acquéreurs sont-ils informés de la vulnérabilité de leur investissement immobilier ? Depuis quelques mois, « les propriétaires immobiliers doivent fournir à leurs acquéreurs et locataires une information sur l’exposition du bien au recul du trait de côte, complété d’un état des risques », relève la Cour des comptes. Pour cette dernière, s’il est « encore trop tôt pour apprécier l’efficacité de ce dispositif et son impact sur le marché immobilier littoral », ce dispositif ne permet pas aux acheteurs de bien prendre conscience qu’ils risquent de tout perdre en investissant dans le bien immobilier de leurs rêves. Sans surprise, l’institution préconise donc de « renforcer l’information préalable obligatoire à l’attention de l’acquéreur d’un bien immobilier par l’indication que celui-ci est susceptible, en raison du risque naturel auquel il est exposé, d’une diminution voire d’une perte totale de valeur ».
Autre sujet important, la Cour des comptes alerte le public sur le fait que ce contexte menace directement le système d’assurance et d’indemnisation des catastrophes naturelles dans ces régions. « La valeur des biens exposés à la seule montée des eaux d’ici à 2100 sur le seul littoral méditerranéen pourrait s’élever à 11,5 milliards d’euros », constate-t-elle. Avant d’affirmer : « À brève échéance et à cadre constant, le système assurantiel et indemnitaire ne pourra supporter la couverture de la réalisation et de l’intensification des risques. »
Et que font les pouvoirs publics face à la montée en puissance des risques littoraux ? Pas assez, au goût de la Cour qui appelle les collectivités locales et l’État à revoir leurs « stratégie et actions » qui ne sont « pas à la hauteur des enjeux de vulnérabilité du littoral méditerranéen ». Ainsi, « les collectivités locales, qui disposent des principaux outils de planification, n’ont pas encore pris la pleine mesure des conséquences de l’exposition de leurs territoires, d’une part aux risques liés à la mer et aux inondations, imprévisibles, d’autre part à la mobilité prévisible du trait de côte ».
Boris Cassel
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