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Entretien avec Claire Hédon, Défenseure des droits« Notre institution est un très bon baromètre de la société »

Ces derniers mois, Claire Hédon, la Défenseure des droits, s’est exprimée sur la dématérialisation des démarches administratives, MaPrimeRénov' ou, plus récemment, sur la fin des amendes forfaitaires délictuelles (dressées sans l’intervention d’un juge). Mais les compétences de son institution vont bien au-delà. Entretien.

Que Choisir. Votre institution est aux avant-postes des dysfonctionnements de notre société. Quelles sont, selon vous, les priorités qui doivent être prises en compte par l’État ?

Claire Hédon. Nous pouvons être saisis sur toutes les questions de l’accès au droit et de respect du droit. À ce titre, nous couvrons un spectre très large des domaines du quotidien, de la demande de papiers en préfecture à la prise en considération du handicap en passant par l’éducation, la santé, etc. Aujourd’hui, l’un des champs qui nous préoccupent est celui de l’éloignement des services publics du fait de démarches de plus en plus dématérialisées. D’après les derniers chiffres du Crédoc (1), 31,5 % de citoyens n’y ont pas accès, soit plus de 11 millions de personnes. C’est colossal !

QC. Qui sont ces Français éloignés du numérique ?

C. H. La première idée reçue est de croire que ce sont principalement des personnes âgées. Or, pas du tout ! Parmi ces « naufragés du numérique », on compte 28 % de jeunes. De plus, chacun d’entre nous peut être confronté, un jour ou l’autre, à un bug informatique, ou encore glisser par mégarde une erreur sur un site administratif. Même si j’estime que la numérisation est une chance, nous demandons la mise en place d’agents capables de répondre en cas de problème et d’une fonction « correction » sur les plateformes internet, comme celle qui existe sur celle des impôts.

QC. Mais avec le tout-numérique, n’y a-t-il pas aussi un report de charges des institutions vers le citoyen ?

C. H. Absolument. L’un des principes fondamentaux des services publics est l’adaptabilité. Aujourd’hui, les usagers se voient contraints de disposer d’une connexion internet haut débit, d’un ordinateur ou d’une tablette et d’une imprimante. De savoir se servir de ce matériel et de ne pas se tromper. Cela fait beaucoup !

« Six mois pour toucher une pension de réversion »

QC. Cette numérisation suit la nécessité de supprimer un certain nombre de postes afin de réduire les dépenses publiques. N’êtes-vous pas, à travers vos demandes, en décalage ?

C. H. Dans un de ses récents rapports, la Cour des comptes l’a bien expliqué. Oui, la dématérialisation est une chance pour beaucoup d’entre nous, mais c’est allé trop vite ! Sur les trois premiers mois de l’année, 30 % des saisines que nous avons enregistrées concernent les droits des personnes étrangères. Les délais d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour en préfecture sont devenus très longs. J’ai un profond respect pour le travail des agents des services publics. Ils font ce qu’ils peuvent. Mais ils sont débordés. Lors de mes déplacements, les préfets m’interpellent sur la question des sous-effectifs : « Sauvez nos ETP, nos équivalents temps plein ». Et chaque jour, mes services constatent les conséquences parfois dramatiques de cette situation. Dernièrement, une dame attendait depuis plus de six mois la pension de réversion de son époux défunt. Elle vivait alors avec 90 € par mois…

QC. Comment fonctionnent vos antennes sur le territoire ?

C. H. Nous comptons 990 points d’accueil partout en France, y compris dans les territoires d’outre-mer, animés par 570 délégués bénévoles. Ils accueillent et orientent le public, et interviennent par le biais de la médiation. Et ça marche pour 75 % des cas ! Je salue d’ailleurs leur engagement. Leurs remontées constituent un très bon baromètre de notre société et nourrissent nos travaux. Les parlementaires en sont conscients. Lors de la première année de mon mandat, j’ai été surprise d’être sollicitée pour 44 auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat !

Des centaines de dossiers MaPrimeRénov' en souffrance

QC. Justement. Selon vous, vos alertes sur certains dysfonctionnements de l’État sont-elles suffisamment entendues ?

C. H. Je pense que les ministres entendent et prennent la mesure des problèmes que nous rapportons. Il reste que nous ne sommes pas toujours d’accord sur la façon de les traiter…

QC. Des exemples ?

C. H. Il y en a plusieurs. Prenons celui de MaPrimeRénov', octroyée aux foyers qui effectuent des travaux d’économie d’énergie dans leur logement. Des centaines de dossiers sont en souffrance (1 400 saisines reçues par mes services !). Cette aide est soumise à conditions de ressources et s’adresse spécialement aux ménages à faibles revenus. Ces derniers ont engagé des frais importants et elle n’arrive pas ! L’Agence nationale de l’habitat (Anah) qui gère le dispositif a du mal à faire face. Si les espaces France services constituent un début de réponse, ce n’est pas suffisant, car les agents affectés à ces guichets de proximité qui regroupent plusieurs administrations ont seulement la possibilité d’accompagner les particuliers dans leurs démarches. L’une des pistes à suivre serait de détacher des personnels ayant un réel accès au dossier et disposant des compétences pour résoudre le problème.

QC. À l’occasion de la 6e Conférence nationale du handicap qui s’est tenue, en avril dernier, à l’Élysée, plusieurs associations ont boycotté l’invitation. Qu’en pensez-vous ?

C. H. Je peux comprendre le sentiment qu’elles ont de n’être pas assez entendues. Pour le Défenseur des droits, il s’agit d’un sujet majeur transversal et pluriel (école, accès à l’emploi…). D’ailleurs, alors que les Jeux olympiques de 2024 à Paris se profilent avec des millions de visiteurs, nous sommes très loin du compte en ce qui concerne les infrastructures adaptées au handicap, particulièrement dans les transports en commun. Pourtant, rendre accessible l’espace public sert à tous : les jeunes parents avec poussettes, les personnes âgées…

QC. Autre dossier brûlant, celui des Ehpad. À votre avis, qu’est-ce que le livre Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, a changé ?

C. H. Ce livre a mis en lumière des faits graves, notamment le manque de contrôles. C’est pourtant essentiel. Nous avions sorti un rapport en 2021, avant la publication de cette enquête, dans lequel nous préconisions 8 aides-soignants pour 10 pensionnaires. Nous en sommes encore loin, avec une proportion de seulement 6,5 pour 10. La question est la suivante : quels efforts la société est-elle prête à faire pour ses personnes âgées, pour ses enfants ? Et, plus globalement, pour toutes les personnes fragiles ?​​​​​

Des missions très diverses

Après Dominique Baudis, en 2011, et Jacques Toubon, en 2014, Claire Hédon, ancienne journaliste pour RFI puis présidente de l’association ATD Quart Monde, occupe le poste de Défenseure des droits depuis juillet 2020.

Le Défenseur des droits, nommé pour 6 ans (mandat non renouvelable et irrévocable) par le président de la République, est une autorité indépendante de rang constitutionnel qui se voit confier 5 missions essentielles :

  • Faire respecter les droits des usagers des services publics.
  • Défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant.
  • Lutter contre les discriminations directes ou indirectes et sensibiliser à l’égalité.
  • Veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République.
  • Informer, conseiller et orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, et défendre les droits et libertés des lanceurs d’alerte.

Le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne physique ou morale. Il a des pouvoirs d’enquête, ce qui l’autorise notamment à procéder à des vérifications sur place, dans des locaux administratifs ou privés. Il émet également des recommandations de nature à garantir le respect des droits et des libertés du citoyen. Il est susceptible d’être consulté par le Premier ministre, l’Assemblée nationale ou le Sénat sur toute question relevant de son champ de compétence.

(1) Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.

Arnaud de Blauwe

Arnaud de Blauwe

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