Elsa Abdoun
ÉlevageUn syndicat accuse un établissement public de recherche de désinformation
L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) propose, sur son site web, un décryptage des idées fausses circulant sur la viande et l'élevage. Une « entreprise de désinformation » qui « sème le doute dans un consensus scientifique pourtant bien établi », pour le syndicat Sud Recherche de l'Institut.
« L'argumentation s'apparente moins à un éclairage des citoyens qu'aux stratégies de "manufacture du doute" souvent reprochées aux industriels. » L'accusation est grave, d'autant plus qu'elle vient de l'intérieur. Car ces mots sont ceux du syndicat Sud Recherche de l' Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et font référence à une récente communication de ce même institut. Plus précisément à un article publié sur son site web, intitulé « Quelques idées fausses sur la viande et l'élevage », qui selon celui-ci, soutiendrait que non seulement l'élevage n'est pas aussi néfaste pour l'environnement que ce que l'on peut lire ou entendre dans les médias, mais aussi que sa suppression et la recherche d'alternatives artificielles pourraient avoir des effets délétères sur l'environnement et la santé.
Dans son communiqué, rendu public le 25 février dernier, Sud Recherche reproche à l'article de pâtir de nombreux biais, tels que « ne pas rappeler que 80 % des animaux utilisés pour l’alimentation humaine proviennent d’élevages industriels, et illustrer l’article par une belle photo de vaches pâturant dans la montagne ». Le syndicat regrette également que le paragraphe sur les gaz à effet de serre se borne à affirmer que l'élevage en émet moins que les transports, « alors qu’il est indispensable de réduire les émissions de ces deux activités ».
Chiffres remis en cause
Une autre critique se porte sur le paragraphe où l'Inrae interroge la réalité de la compétition de l'alimentation animale avec la nourriture humaine (céréales, fruits, légumes). Sans formuler clairement de réponse, l'institut apporte une série de chiffres qui pourraient amener à penser qu'il n'y en a pas. Sud Recherche met en cause la pertinence de ces chiffres : « L’article affirme que 86 % de l’alimentation animale n'est pas consommable par l'homme. [...] Mais cette nourriture est pour une part importante issue de plantes cultivées spécifiquement pour l’alimentation animale. » Traduction : une partie des produits non consommables par l'humain et donnés aux animaux d'élevage sont produits sur des terres qui pourraient être utilisées pour l'alimentation humaine. La publication (1) dont l'Inrae tire le chiffre de 86 % calcule d'ailleurs que, sur les 2,5 millions d'hectares utilisés dans le monde pour l'alimentation animale, 43 % entreraient en compétition avec l'alimentation humaine. Un chiffre que l'Institut n'a visiblement pas jugé pertinent de reprendre dans son article. Anne Mottet, chargée des politiques d'élevage à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et coauteure de la publication scientifique, affirme cependant comprendre la démarche de l'Inrae, et assure que « les deux chiffres sont intéressants ».
Sud Recherche ne semble pas de son avis, résumant cet article à « une entreprise de désinformation par l'amalgame et l'omission ». Et rappelle que, « en janvier 2019, l’Inra [devenue depuis Inrae, ndlr] publiait déjà à la une de son site un texte intitulé "Peut-on diminuer la consommation de viande sans risque pour la santé ?" qui faisait la part belle au discours des filières [agroalimentaires, ndlr] » (une version très proche est encore disponible ici).
Une publication délibérément orientée ?
L'Inrae s'est depuis défendue dans une lettre : « L’objectif de cet article est de mettre en garde le lecteur sur l’utilisation de chiffres et de slogans simplistes, alors que les calculs de ces données et plus globalement la problématique de l’élevage sont complexes et multifactoriels. Dire que ces slogans sont faux n’équivaut pas à développer un plaidoyer inconditionnel en faveur de l’élevage. »
Mais un tel article, dont chaque paragraphe apporte des informations relativisant les problèmes environnementaux posés par l'élevage et l'intérêt de lui chercher des alternatives, ne pourrait-il pas aussi s'expliquer par les liens très étroits (et notamment financiers) qu'entretient l'Institut avec les filières agroalimentaires ? « C'est un procès d'intention, réagit Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint dédié à l'agriculture à l’Inrae que nous avons interrogé. On travaille en partenariat avec une grande diversité d’acteurs : agriculteurs, associations, collectivités territoriales, entreprises… et même directement avec les citoyens. Travailler avec les filières professionnelles relève de la même démarche. C’est bien en travaillant avec les acteurs des filières qu’on peut faire progresser l’agriculture. »
Sud Recherche a demandé le retrait du texte, mais l'Institut l'a jusqu'à présent maintenu.
(1) https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2211912416300013