ÉlectrosensibilitéUn marché florissant
Prenant de vitesse les scientifiques qui n’ont pas encore réussi à déterminer ce que recouvre le terme d’électrosensibilité, des commerçants proposent déjà toute une batterie de dispositifs anti-ondes.
Peinture, disjoncteur, vêtements, lunettes, film pour vitre, grillages, câbles, etc. Débattue depuis maintenant une quinzaine d’années, la question de l’électrosensibilité a suscité une offre hétéroclite de dispositifs de protection, souvent vendus à des prix élevés : 69 € pour un bandeau de grossesse anti-onde Belly Armor, 248 € pour une veste à capuche chez Naturonde, 200 € le pot de peinture anti-onde de cinq litres Yshield…
L’efficacité est-elle au rendez-vous ? S’il s’agit d’arrêter ou de brouiller des ondes, dans certains cas, oui, sans l’ombre d’un doute. Industriels, militaires ou scientifiques utilisent depuis longtemps, par exemple, des peintures dont l’efficacité est avérée, dans le but de protéger des dispositifs électroniques sensibles. Ce qui les distingue des peintures classiques n’a rien de mystérieux, il s’agit de particules ou de fils métalliques.
Faut-il pour autant investir pour se protéger si vous êtes un particulier et que vous pensez souffrir d’électrosensibilité ? La réponse est non, pour plusieurs raisons. La principale est qu’aucune étude à ce jour n’a réussi à établir un lien entre une gamme de fréquence et les symptômes de l’électrosensibilité (mal de tête, nausée, etc.). Se protéger, mais de quoi ? Les ondes électromagnétiques vont des rayons gammas (dégagés par une explosion nucléaire) aux ondes hertziennes de la radio, en passant par l’ultraviolet, la lumière visible, l’infrarouge, sans oublier les ondes du réseau GSM ou celle d’un four micro-onde. Certaines ondes sont indubitablement dangereuses, à commencer par la lumière du soleil, qui peut rendre aveugle ou brûler gravement. Pour s’en prémunir, il faut se mettre à l’ombre. Idem pour le champ électromagnétique d’une ligne à très haute tension, dont il vaut mieux se tenir éloigné de plusieurs mètres.
Antennes-relais en première ligne
Les cibles désignées par les électrosensibles sont en général les téléphones portables et les antennes relais. Leur généralisation est concomitante de la pandémie d’électrosensibilité. Les craintes se sont ensuite élargies aux ondes des ordinateurs et des box Internet. Sans doute au bénéfice de l’ancienneté, les ondes hertziennes de la télévision et de la radio, qui nous bombardent depuis des décennies, ne sont presque jamais accusées.
En pratique, des études sérieuses ont montré que des ondes ou des champs électromagnétiques pouvaient avoir un effet sur des rats en laboratoire. Des études tout aussi sérieuses, néanmoins, montrent qu’il n’y a pas de liens entre les ondes des téléphones et les crises d’électrosensibilité. Les sujets testés en double aveugle (ni eux ni l’examinateur ne savent s’il y a ou non exposition) ressentent des symptômes, indépendamment de la réalité des émissions.
En 2009, à Saint-Cloud (92), des habitants de la résidence des Boucles-de-la-Seine se sont mobilisés contre trois antennes-relais d’Orange, cause de malaises, nausées, maux de tête. Visé par une plainte, l’opérateur a pu prouver sans difficulté que les antennes en question étaient hors service. Elles n’étaient même pas alimentées en électricité.
En toute rigueur, il ne faudrait pas condamner formellement ces dispositifs anti-ondes sans les avoir testés. C’est ce que nous avons fait en 2012 sur des housses et des patchs anti-ondes pour smartphones. Résultat : aucune efficacité sur les ondes électromagnétiques générées par ces appareils.
Certains sites vont très loin dans le farfelu. Géobiologie, spécialisé dans les pollutions électromagnétiques, propose des « dispositifs anti-ondes » censés corriger « le champ de torsion gauche (levogyre) qui est néfaste pour la vie », grâce à « de la poudre de tchungite (roche issue d'un gisement situé en Carélie et composée de nonostructures de carbone) et des informations phytothérapeutiques de plantes du Brésil ». L’animateur de ce site commercial n’a pourtant pas perdu tout sens des réalités. À la rubrique contact, il donne son numéro de téléphone. C’est un mobile.
Mise à jour du 1er septembre 2014
Suite à la parution de notre article, un lecteur nous indique un communiqué de l’Académie de médecine en date de mai 2014. L’Académie s’élève contre la décision d’une collectivité territoriale d’accorder à un citoyen se pensant électrosensible une aide pour l’achat de dispositifs de protection contre les ondes n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité. Ce communiqué de l’Académie de médecine est disponible ici.