Florence Humbert
1 livre sur 4 détruit sans avoir été lu
Surproduction, délocalisation de la fabrication du papier et de l’impression des livres… une étude du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) tire la sonnette d’alarme sur les impacts sociétaux et écologiques de l’édition française.
Avec 581 nouveaux romans, la rentrée littéraire bat son plein dans les librairies. Mais cette offre pléthorique a son revers. C’est ce que révèle une récente étude du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic). « Pour chaque euro de bénéfice généré par l’édition d’un ouvrage, il existe un coût caché de 75 centimes à la charge de la société, principalement à cause de la fabrication du papier », estime ce rapport intitulé « Un livre français : évolutions et impacts de l’édition en France » (1), qui passe au crible les principaux points noirs du secteur. À commencer par l’énorme gaspillage engendré par un modèle économique en surproduction. Chaque année, près de 1 livre imprimé sur 4 est détruit sans jamais avoir été lu ! Ce qui représentait 142 millions de volumes (romans ou essais) pour l’année 2015.
Paradoxalement, dans un contexte d’érosion de la lecture, la production de livres ne cesse d’augmenter depuis les années 1970, pour atteindre aujourd’hui 70 000 titres annuels. Cette spirale inflationniste résulte de l’emprise grandissante de grands groupes financiers ou d’envergure internationale (Hachette, Editis et Madrigall) qui imposent à l’ensemble de la chaîne du livre des impératifs de rentabilité à court terme. Tant pis pour les œuvres d’accès plus difficile qui mettront plusieurs années avant de trouver leur public. Désormais, le livre est devenu un objet de consommation de masse dont la production obéit aux règles du marketing et de la publicité. « Les maisons d’édition doivent créer de la demande en “inventant” constamment de nouveaux produits », affirme le rapport. Une stratégie qui leur permet d’occuper le terrain et de créer un effet de masse sur les tables des librairies.
Filière mondialisée du papier
À ceci près que la pression toujours plus forte pour réduire les coûts de production a des effets désastreux sur l’emploi. « Les librairies ont perdu quasiment 10 % de leurs effectifs salariés estimés entre 2009 et 2014, rapporte l’étude. Et dans l’édition, ce sont plus de 1 200 postes qui ont disparu en 5 ans, soit 8,7 % de l’effectif. » Plus grave encore, l’industrie papetière, « 3e secteur le plus touché en France par les destructions d’emplois après les secteurs textile et extractif », a connu la perte de 1 emploi sur 3 depuis 2000. Le recours désormais majoritaire à la filière mondialisée du papier par l’industrie du livre a des impacts sociaux et environnementaux qui restent peu connus des professionnels comme du grand public. « Au Brésil, par exemple, d’où provient la majorité de la pâte nécessaire au papier de nos romans, des conglomérats de taille mondiale exploitent d’immenses plantations d’eucalyptus clonés au détriment de la biodiversité, des paysans locaux et des ressources en eau », s’indignent les auteurs de l’étude.
Des solutions existent pourtant pour un livre plus « durable », comme l’utilisation plus systématique de plantations de bois certifiées ou de fibres recyclées, ou encore le recours au livre électronique, mais aucune de ces alternatives ne suffira à mettre fin aux impacts sociétaux constatés. Selon l’étude, il faut transformer plus fondamentalement l’organisation et les pratiques de la filière en s’attaquant à la surproduction et en favorisant les livres éco-conçus. Une « révolution » qui ne pourra se faire sans une prise de conscience des enjeux par l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, mais aussi des consommateurs.
(1) http://lebasic.com/wp-content/uploads/2017/08/Rapport-Edition_20170912.pdf