Camille Gruhier
Droit à l’oubliGoogle condamné… à tort
Dans une récente décision, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que Google et les autres moteurs de recherche étaient responsables du traitement des données personnelles publiées sur les sites auxquels ils renvoient. Mais est-il pertinent de considérer Google responsable dans les affaires de droit à l’oubli numérique ? Pas sûr.
En 2008, M. Costeja Gonzales saisit son nom dans Google et constate que deux liens fâcheux apparaissent dans la liste de résultats. Il s’agit de liens pointant vers des pages du quotidien espagnol La Vanguardia, datées de janvier et mars 1998, annonçant la vente aux enchères d’un bien immobilier saisi à M. Costeja Gonzales, qui avait laissé une petite ardoise à la sécurité sociale espagnole. Agacé par le fait que cette vieille histoire remonte si facilement à la surface alors qu’elle est réglée depuis des années, il saisit l’Agence espagnole de protection des données (AEPD), l’équivalent espagnol de la Cnil. M. Gonzales réclame, d’une part, que le quotidien supprime ces pages Internet, et d’autre part que Google les désindexe pour qu’elles n’apparaissent plus dans les résultats de recherche. Autrement dit, M. Gonzales en a assez que son passé lui colle aux basques et que n’importe qui (un employeur potentiel, une prétendante…) puisse tomber dessus en quelques clics. Une illustration parfaite du « droit à l’oubli », ou plutôt « droit à l’effacement », auquel chacun peut prétendre puisqu’il est inscrit dans la loi (1). L’AEPD rejette la demande concernant la suppression des pages de La Vanguardia, mais suit le plaignant dans sa requête à l’encontre de Google, à qui elle demande de supprimer lesdites pages de son index et de les rendre inaccessibles à l’avenir. À l’époque, Google fait appel et l’affaire est finalement portée devant la justice européenne. Laquelle a donc tranché, le 13 mai dernier, en faveur de M. Gonzales.
Google, mauvais interlocuteur
Réjouissante sur le fond, cette décision est à nuancer sur la forme. D’abord, les pages du journal peuvent très bien ressortir dans les résultats d’un autre moteur de recherche (Bing, par exemple). Ensuite, rien ne garantit que les informations concernant M. Gonzales ne réapparaissent un jour dans Google. Imaginez qu’un internaute ait enregistré les pages concernées et décide d’en publier le contenu sur son propre site, lui-même indexé par Google… En substance, impossible d’affirmer que toute trace numérique de cette histoire a été définitivement éradiquée (d’où le terme d’« effacement » et non d’« oubli » retenu dans la loi). Pour ça, il aurait au minimum fallu que le journal supprime les pages en cause. Autrement dit que l’éditeur soit tenu pour responsable, et non le moteur de recherche, qui n’est pas l’interlocuteur adéquat. Dans cette affaire, d’ailleurs, l’avocat général s’était déjà prononcé il y a plusieurs mois, et plaidé « qu’aucune autorité nationale en matière de protection des données ne saurait exiger d’un fournisseur de services de moteur de recherche sur Internet qu’il retire des informations de son index ».
Toute proche, la neutralité du net
La décision de la CJUE pourrait influencer d’autres affaires, en cours et à venir. Concrètement, elle revient à dire que toute personne dans la situation de M. Gonzales peut s’adresser directement à Google pour faire supprimer des liens le concernant, charge au moteur de recherche d’examiner lui-même le bien-fondé de la demande. Mais revient-il à Google de se porter juge ? L’UFC-Que Choisir estime que non. De surcroît, laisser Google manier les pages du Web selon son propre jugement revient à toucher à une autre problématique : celle de la neutralité du net, c’est-à-dire du principe de transparence, de libre circulation et de liberté d’expression sur Internet. Des fondamentaux de l’égalité sur Internet, auxquels l’UFC-Que Choisir est également très attachée.
(1) Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sur la protection des données personnelles.