Fabienne Maleysson
Démocratie participativeQue contiennent les cahiers de doléances ?
En réaction au mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement avait mis sur pied le Grand débat national et invité chaque Français à exprimer ses doléances. Les contributions, dont une partie importante concerne le pouvoir d’achat, sont pour l’instant restées lettre morte et les 12 millions d’euros d’argent public engagés sont partis en fumée.
Que sont devenus les cahiers de doléances, ces registres sur lesquels les Français pouvaient s’exprimer dans le cadre du Grand débat national organisé en réaction à la crise des Gilets jaunes ? Ils dorment dans les réserves des archives départementales, leur accès est limité à quelques équipes de recherche, et aucune exploitation sérieuse n’a été faite de leur contenu. C’est ce que nous apprend le documentaire d’Hélène Desplanques, Les doléances, disponible sur le site France.tv (1). Accompagnée de Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent (Oise), la réalisatrice y parcourt les routes de France à la rencontre de personnes ayant rédigé des textes, les ayant analysés ou d’élus de tous bords.
Pouvoir d’achat et santé
Au fil de leur parcours se dessine l’image d’une population minée par les questions de pouvoir d’achat, à l’image de cette maman qui demande à Emmanuel Macron d’expliquer à sa fille pourquoi, bien que travaillant, elle ne peut chauffer la maison à sa guise, lui offrir des menus équilibrés ou des cadeaux de Noël autres que faits maison. Problématique tout aussi prégnante, la santé. Une retraitée énumère les obstacles empêchant l’accès aux soins : éloignement de l’offre, coût des mutuelles, baisse des remboursements de médicaments, appât du gain de la part des laboratoires pharmaceutiques. Les difficultés de tous ordres sont, sans surprise, plus aiguës en zone rurale avec la disparition des services publics et des commerces. Ayant analysé un corpus de contributions, Manon Paugam, maître de conférences en sciences du langage, souligne la récurrence des termes « grandes » et « grands » associés à « discours », « écoles », « patrons », « entreprises » ; et « petites » et « petits » accolés à « communes », « collèges », « gares », « hôpitaux », « commerces » ou encore « retraites ».
Source d’inspiration
L’analyse de l’ensemble des contributions constituait la première étape indispensable à leur exploitation afin d’inspirer d’éventuels projets de réformes dans différents secteurs. Après la clôture de la consultation, en 2019, le gouvernement a confié cette tâche à plusieurs cabinets spécialisés. Le documentaire donne la parole à l’un des experts missionnés, Gilles Proriol, qui souligne la richesse de l’ensemble et déplore que personne ne s’en soit saisi : « On a fait ressortir environ 700 propositions, liées aux services publics, à la santé, à l’éducation, à la fiscalité, à la démocratie. Mais on n’a pas été reçus à l’Élysée pour présenter notre travail. » Fâcheuse coïncidence, le soir où Emmanuel Macron doit exposer ce qu’il a retenu des demandes des Français, Notre-Dame de Paris brûle, et c’en est fini du Grand débat. « Ça a été une frustration énorme pour tout le monde, amplifiée par le fait que le gouvernement n’a pas tenu sa promesse de mettre en open source les données en utilisant des raisons fallacieuses : il a prétendu que le volume était trop important, alors que tout tenait sur mon ordinateur », s’indigne l’expert. Outre les contributions directement portées par les citoyens sur le site dédié, 16 000 des 19 000 cahiers manuscrits ont d’ores et déjà été numérisés. L’essentiel est donc accompli pour permettre une publication en ligne.
2 millions de contributions
À l’issue d’une projection du film à l’Assemblée nationale, organisée par la députée de la Drôme Marie Pochon, Gilles Proriol a assuré qu’une centaine de propositions revenaient de façon si fréquente qu’elles revêtaient probablement un caractère transpartisan. Également présent dans la salle, le politologue Pascal Perrineau, l’un des cinq garants du Grand débat, a souligné que la participation avait été inhabituellement nombreuse avec 2 millions de contributions. Son bilan en substance : les ministres étaient à l’écoute mais pas le président de la République et « à la fin, ça a donné des éléments de langage ».
Constatant « l’ampleur de la participation citoyenne à l’écriture de doléances, qui témoigne de la volonté des citoyens d’être écoutés » mais aussi « l’érosion inquiétante de la confiance des citoyens envers les institutions, le politique et la démocratie représentative », Marie Pochon a présenté avec plusieurs collègues députés une proposition de résolution invitant le gouvernement à financer la mise en accès libre des doléances sur un site dédié et la recherche publique à leur sujet.