Démarchage téléphonique (vidéo)Caméra cachée dans un centre de téléprospection
Que se passe-t-il à l’autre bout de la ligne lorsqu’on est démarchés ? Pour le savoir, nous nous sommes infiltrés incognito dans l’équipe de téléprospection d’une société spécialisée dans la rénovation de l’habitat.
Lundi 5 décembre
11 h : « Ce n’est pas un travail facile »
Il aura suffi d’un CV amélioré et d’une lettre de motivation pour que le responsable du recrutement de la société nous appelle et nous fixe un rendez-vous deux jours plus tard au cœur d’une zone commerciale de la région parisienne. La responsable télémarketing nous accueille dans ce qui a dû servir un jour de showroom et nous amène au premier étage où une dizaine de jeunes téléprospectrices sont déjà au travail. Céline (1) entre dans le vif du sujet : « Votre travail consistera à appeler des gens pour les convaincre de fixer un rendez-vous avec l’un de nos commerciaux. Pour cela, vous vous appuierez sur ce script, dit-elle en tendant une feuille. Vous leur direz que nous nous implantons dans leur ville et qu’ils ont été sélectionnés pour participer à un tirage au sort pour gagner des fenêtres ou des volets. » Puis elle enchaîne sur les horaires (10 h 30-13 h/17 h 30-20 h du lundi au vendredi) et les conditions salariales (1 047 €/mois + primes en fonction du nombre de ventes générées). Notre manque d’expérience ? « Ce n’est pas un problème. Ce qu’il faut avant tout, c’est une bonne élocution et de l’envie, car ce n’est pas un travail facile. »
11 h 30 : « J’ai la rage »
La présentation terminée, Céline nous fait écouter des conversations en cours, notamment celles de Samia. « C’est une chance pour vous d’être appelée aujourd’hui, insiste celle-ci auprès d’une femme dubitative. Nous ne vous recontacterons pas une deuxième fois. » Après une longue réflexion, la dame accepte de participer au jeu. Mais la satisfaction de Samia est de courte durée. « Elle met deux minutes à se décider et, au final, elle me dit qu’elle est locataire, souffle-t-elle après avoir raccroché. J’ai la rage. »
Mercredi 7 décembre
10 h 30 : « On risque de grossir »
À la demande de Céline, nous revenons deux jours plus tard. À notre arrivée, l’équipe est en train de se faire remonter les bretelles. « Vous devez écouter les personnes, lance Céline. Si elles vous disent que changer leurs fenêtres n’est pas dans leurs projets immédiats, c’est que c’est dans leurs projets. Dites-leur qu’il s’agit juste d’une information, insistez sur le fait que l’on vient de province, que la société existe depuis vingt ans, qu’on est fabricant-installateur français. Tout cela contribue à les rassurer. Mais encore faut-il y croire. Dites-vous que si la personne dit oui, c’est pour vous et pas pour le produit. » Avant d’ajouter : « Je vous rappelle que chacune d’entre vous qui générera cinq ventes touchera une prime de 400 € et que celles qui n’auront pas décroché de rendez-vous de la journée apporteront le petit-déjeuner demain. » « On risque de grossir », craint l’une de ses adjointes.
11 h 30 : « Le tirage au sort ? Un projet lointain »
Il est temps de passer nos premiers appels. Pendant que le système compose automatiquement un numéro, le nom et l’adresse de l’interlocuteur s’affichent. À chaque fois qu’une personne répond, nous déroulons notre argumentaire. À la fin de la communication, il faut qualifier l’appel selon la nomenclature suivante : « locataire », « refus » ou « répondeur ». Si les locataires et les personnes ayant décliné l’offre ne seront pas rappelés de sitôt, les numéros ayant hérité de la qualification « répondeur » seront automatiquement recomposés dans les jours suivants. Or, la responsable nous demande de classer aussi dans cette catégorie les prospects mécontents. « Comme cela, nous les rappellerons. Avec un peu de chance, ils seront dans de meilleures dispositions », nous explique l’adjointe de Céline. Avant de nous en dire plus sur le fameux tirage au sort : « Oh, c’est un projet lointain. Le but, c’est surtout de capter l’attention. »
12 h 30 : « Vous n’avez pas une voix de retraité »
Beaucoup de personnes sur répondeurs, une flopée de refus plus ou moins polis, quelques erreurs de numéro... après plus d’une heure passée au téléphone et une trentaine d’appels infructueux, le bilan n’est guère reluisant. Jusqu’à ce qu’un certain Paul nous dise que oui, vraiment, il aimerait bien gagner des volets. Comme convenu, nous passons la main à une collègue plus expérimentée pour qu’elle « valide l’inscription » et tente de caler un rendez-vous avec un commercial. « Puisque vous êtes intéressé par des volets, j’imagine que vous avez un projet de rénovation », lance-t-elle à Paul avant de lui faire miroiter des gains d’argent (« vous savez que vous pouvez bénéficier d’un crédit d’impôt de 30 % ») et de multiplier les compliments gratuits (« vous n’avez vraiment pas une voix de retraité »). Pourtant, après avoir raccroché, l’experte se montre sceptique. « Il a déjà fait faire deux devis pour ses volets. Comme nous sommes plus chers que les concurrents, je crains que cela ne soit pas très bon pour la suite. » À 13 h, Céline nous propose un contrat. Nous déclinons l’offre.
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(1) Les prénoms ont été changés.