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Démarchage électricité

Les pratiques douteuses de Selectra

Depuis mars, le comparateur d’offres d’électricité Selectra fait du démarchage téléphonique pour le compte du fournisseur d’électricité Ekwateur, avec l’objectif de convaincre la personne au bout du fil de rejoindre cet opérateur. Une lectrice a alerté Que Choisir suite à un appel plus que problématique.

C’est le genre d’appel téléphonique qu’on regrette d’avoir pris, passé d’un numéro fixe et avec une insistance qui laisse présager une énième sollicitation commerciale. Kathia a fini par décrocher, tout début juillet, en spécifiant rapidement qu’elle n’est pas intéressée. « Comme à mon habitude », précise la Lyonnaise, qui nous a écrit le 6 juillet dernier.

Mais la voix au bout du fil le lui promet : ce coup-ci, il ne s’agit pas d’un démarchage commercial. « On m’explique qu’il s’agit d’une remise à l’échelle régionale sur le prix du kilowattheure d’électricité, qui passerait de 25 centimes dans mon contrat actuel à 17. En prime, ce prix serait fixe sur 3 ans », raconte Kathia, cliente chez TotalEnergies.

Des réponses floues au téléphone

Elle demande tout de même à en savoir plus sur son interlocuteur. Mais la réponse ne la rassure guère. « Dans la phrase longue comme le bras qu’il me donne, je réussis à saisir le nom d’Ekwateur, qui serait le fournisseur d’électricité de ma région », reprend la jeune femme, du coup réticente à donner au téléphone les informations confidentielles demandées, comme son RIB.

Kathia demande qu’on la rappelle le lendemain, le temps qu’elle puisse en parler à son conjoint. La personne qui la contacte reprend le même argumentaire que la veille. On lui fait croire à un rabais sur le prix de l’électricité négociée avec la région Auvergne-Rhône-Alpes et qu’elle n’a qu’à donner son consentement par téléphone pour modifier les prélèvements et ainsi profiter de la ristourne. « Je finis par indiquer que c’est d’accord pour bénéficier de la remise à condition qu’elle me certifie que cela ne m’engage à rien, que je ne vais pas changer de fournisseur d’électricité, qu’il n’y aura pas de frais et que j’aurai un mail récapitulatif à la fin », nous écrit Kathia.

Même l’offre promise est fausse

La Lyonnaise raccroche mais a un mauvais pressentiment et finit par contacter Ekwateur via le chat du fournisseur et explique son cas. On lui répond que c’est étrange. Ekwateur, en tout cas, ne fait pas d’offre à prix fixe sur 3 ans et le prix du kilowattheure promis est aussi plus bas que celui proposé par ce fournisseur dans son offre prix fixe (18,37 centimes d’euro TTC actuellement).

Bref, rien ne va. En creusant un peu plus, Ekwateur apprend à Kathia que le compte a été créé en son nom par Selectra. Pourtant, jamais le nom de cette entreprise n’a été mentionné dans les appels téléphoniques, assure la Lyonnaise. Elle sait aussi désormais que, contrairement à la promesse tenue au téléphone, cette fameuse remise au nom de la région impliquait bien un changement de fournisseur d’énergie, le contrat de Kathia étant ainsi passé de TotalEnergies à Ekwateur. Ce dernier acceptera d’ailleurs de résilier tout de suite le nouveau contrat.

On commence ainsi à reconstituer le puzzle. Ekwateur a bien passé un contrat avec Selectra, pour qu’il démarche de potentiels nouveaux clients en France. Ce courtier privé, notamment sur l’énergie, est surtout connu pour son comparateur d’offres en ligne et sa plateforme téléphonique qui permet à ceux qui le souhaitent d’être conseillés dans le choix de leur fournisseur. « Mais en début d’année, ils nous contactent pour nous présenter un nouveau service qu’ils proposent, cette fois-ci en appel sortant, souligne Julien Tchernia, PDG et fondateur d’Ekwateur. Ils se proposent d’appeler les gens en notre nom, pour leur présenter nos offres et les inciter à changer s’ils y gagnent. »

Par le passé, Selectra a été épinglé pour ses pratiques commerciales trompeuses. Le courtier a d’ailleurs écopé d’une amende de 400 000 € de la DGCCRF en mai dernier et le médiateur national de l’énergie a dénoncé des pratiques trompeuses en 2021. Pour autant, Julien Tchernia dit travailler en confiance avec Selectra depuis 11 ans et finit par accepter sa proposition. « Sur ce marché de l’électricité où les particuliers font très peu jouer la concurrence, nous voulions mieux faire connaître nos offres, très attractives en ce moment, justifie-t-il. À condition que le démarchage téléphonique se fasse en toute transparence et sans utiliser d’arguments mensongers. »

D’autres cas découverts

Cette partie du contrat n’a pas été respectée. « C’est inacceptable », réagit Julien Tchernia lorsque nous lui présentons le témoignage de Kathia. Mais la Lyonnaise n’est pas un cas isolé. Plusieurs témoignages similaires sont apparus sur le site Trustpilot ces derniers jours. Le 10 juillet, Sarah Bravo rapporte ainsi avoir reçu un coup de fil d’Ekwateur lui expliquant qu’ils venaient de racheter son fournisseur d’électricité et qu’elle devait donc ouvrir un dossier chez eux. « Nous avons repéré ces témoignages et tout de suite demandé des comptes à Selectra et mis en suspens le contrat que nous avions ensemble », affirme Julien Tchernia.

D’autres signes auraient pu lui mettre la puce à l’oreille bien avant. Depuis mars, Selectra a permis à Ekwateur de glaner 5 000 nouveaux clients. Mais ça aurait pu être 6 000 si 1 000 d’entre eux ne s’étaient pas rétractés dans la foulée. Un taux de rétractation très important qui témoigne de pratiques douteuses.

Une activité sous-traitée à des centres d’appels en Afrique

Xavier Pinon, cofondateur de Selectra, en convient lui-même. Il indique avoir mené une enquête en interne après les récents cas problématiques remontés par Ekwateur et Que Choisir. Et fait aujourd’hui amende honorable. Il explique que cette nouvelle activité de démarchage téléphonique pour le compte de fournisseurs – dont Ekwateur, mais également au moins quatre autres ‒ est sous-traitée à des centres d’appels africains. « On doit en avoir six situés au Sénégal, au Maroc et en Tunisie », détaille-t-il. Pour le cofondateur de Selectra, ces démarchages commerciaux trompeurs viendraient d’un de ces six centres, dont les conseillers se seraient permis d’avoir recours à des arguments fallacieux pour atteindre leur but. « On a identifié et réécouté plusieurs appels problématiques, reprend le cofondateur de Selectra. Ekwateur notamment n’était cité qu’à de trop rares reprises et les informations fournies étaient peu qualitatives. »

Le centre d’appels a bon dos. Que ces démarchages problématiques aient pu avoir lieu témoigne du manque de contrôle de Selectra sur ses sous-traitants. « Nous avons, depuis, cessé de travailler avec ce centre d’appels et nous renforçons en ce moment les scripts de démarchages téléphoniques à suivre par les autres pour qu’ils se fassent en toute transparence », garantit Xavier Pinon.

Quant aux particuliers qui ont eu à subir ces appels mensongers, en particulier les 1 000 qui se sont immédiatement rétractés, Selectra dit travailler à une façon de les indemniser, en accord avec Ekwateur. Une certitude : ces démarchages font tache pour Selectra, qui ne jouissait déjà pas d’une réputation flatteuse.

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Fabrice Pouliquen

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