Fabienne Maleysson
Dates limites de consommationReporter les DLC pour moins gaspiller
Les dates limites apposées sur les produits alimentaires ne sont pas toujours fondées. Le groupe Carrefour les a supprimées ou reportées sur plusieurs centaines de références.
Si de nombreux facteurs concourent au gaspillage alimentaire, une étude européenne a évalué que la mise au rebut de produits ayant dépassé leur date limite en représente 10 % environ du volume total. Un élément minoritaire, donc, mais facilement évitable. Car dans bien des cas, il n’y a aucune raison de jeter ces denrées à la poubelle. Carrefour s’est attaqué au problème dès 2018, et a récemment tiré un bilan de son opération. Plus de 500 produits sont concernés. Concrètement, certaines dates ont été supprimées ; on peut alors lire sur l’emballage la mention « se conserve sans limite de temps » suivie de consignes de conservation. « Nous l’avons fait notamment pour le sel, le sucre, le vinaigre ou certains bonbons, mais nous sommes contraints par un règlement européen qui énumère une liste limitative des denrées où l’absence de DDM [date de durabilité minimale, voir ci-dessous] est autorisée », explique Bertrand Swiderski, directeur développement durable du groupe Carrefour. Vérification faite, la plupart de ses concurrents s’abstiennent aussi d’apposer des dates sur ces aliments non périssables. Mais Carrefour a pris une initiative supplémentaire : « Nous avons saisi la Commission pour que la liste soit modifiée et intègre d’autres produits sans risque de dégradation comme le miel, les pâtes, le riz ou les lentilles. »
6 mois de plus pour consommer les pâtes
Là où la suppression pure et simple de la date limite n’était pas envisageable, l’enseigne a mené des tests dans le but de prolonger la durée de vie des produits. Dès lors que la sécurité sanitaire était garantie et les qualités organoleptiques (goût, aspect visuel, texture, etc.) maintenues, les dates étaient repoussées : 6 mois de plus pour les pâtes, le riz et les lentilles corail, 1 an pour les cornichons, etc. Certains sursis ont aussi été accordés aux produits frais : jusqu’à 1 mois pour le lait et la crème UHT ou la saucisse sèche, entre 1 et 3 semaines pour le beurre, 20 jours pour les lardons, 10 pour l’emmental ou le fromage blanc, etc. Et ceci, sans changer les recettes.
Que ces prolongations soient possibles n’a rien d’étonnant. Nous avons déjà démontré, en faisant pratiquer des analyses sur des références achetées au rayon frais, que la quasi-totalité d’entre elles étaient parfaitement consommables plusieurs jours après cette date, voire plusieurs semaines en ce qui concerne les yaourts. Sur ces derniers en particulier, le paradoxe est flagrant, aux dires de Bertrand Swiderski : « Sanitairement parlant, le risque est nul, mais beaucoup de clients ont un comportement irrationnel avec ces produits. Ils vont chercher au fond du rayon les packs avec la date la plus éloignée alors que, la plupart du temps, ils les consomment dans les jours suivant l’achat. »
Aussi étonnante qu’elle puisse paraître, notre démonstration ne faisait que refléter les impératifs présidant à l’établissement des DLC (dates limites de consommation). S’il s’agit avant tout de garantir la qualité sanitaire et organoleptique pendant toute la durée de vie du produit, les enjeux commerciaux pèsent aussi de tout leur poids. Assurer une forte rotation en rayon, maintenir l’image de produit frais est peu compatible avec des DLC trop éloignées. Sans compter des calculs cyniques qu’on ne peut exclure : obliger à remplacer des produits partis à la poubelle pour cause de date dépassée ne peut pas être mauvais pour le business. Carrefour a fait le pari inverse en misant sur le fait que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à faire la chasse au gaspi. Ses concurrents et les fabricants vont-ils lui emboîter le pas ? Interrogée, la Fédération du commerce et de la distribution a invoqué des délais de réponse trop courts. Quant à l’Association nationale des industries alimentaires, elle n’a pas donné suite à notre demande.
Deux types de dates
La DDM (date de durabilité minimale) concerne les produits « à consommer de préférence avant » telle date. Au-delà, les qualités gustatives peuvent être altérées, mais leur consommation n’entraîne aucun risque sanitaire.
La DLC (date limite de consommation) correspond à la mention « à consommer jusqu’au… ». Au-delà de cette date, les denrées sont susceptibles de représenter un risque pour la santé.