Erwan Seznec
Crise financièreVers une hausse des impôts locaux ?
Une des conséquences inattendues de la crise financière actuelle sera probablement la hausse des impôts locaux. Des villes et des départements ont en effet eu recours ces dernières années à des emprunts indexés sur des indices ou des taux de change que la tempête boursière chahute dangereusement.
C'est un secret de polichinelle parmi les experts : un certain nombre de collectivités locales françaises ont joué avec le feu ces dernières années, en souscrivant des emprunts à haut risque. Consentis à des taux très avantageux, ces produits financiers dit « structurés » n'ont qu'un seul défaut. Ils sont indexés sur des indicateurs boursiers ou des cours de change monétaires, selon des formules complexes dont seuls les spécialistes maîtrisent toutes les subtilités (1). Et encore... Nombre de banquiers, de bonne foi, ont présenté comme quasiment impossibles des évolutions que la tempête financière actuelle rend très probables. Pour le grand malheur d'un certain nombre de municipalités ou de départements, qui risquent fort de voir s'envoler leurs remboursements.
Le problème ne sera pas sans conséquence sur les impôts locaux. Les produits structurés représenteraient en effet 25 % du total de l'endettement des collectivités (qui était de 137 milliards d'euros fin 2007), avec des pointes à 50 % pour certaines villes ! La situation de ces dernières est potentiellement explosive. Cela n'apparaît pas forcément dans leurs budgets, car les produits structurés y sont souvent présentés comme des emprunts classiques. Il n'est pas écrit que leur taux risque fort de s'envoler un jour en fonction par exemple du change yen/euro, voire du taux interbancaire polonais au jour le jour...
De véritables spéculations
Laissant de côté les circonvolutions de langage de rigueur entre financiers, le cabinet de notation Fitch Ratings a mis les pieds dans le plat en juillet 2008, dans une note au titre explicite : « La dette structurée des collectivités locales : gestion active ou spéculation ? »
L'étude relève que des villes, confrontées à des premières difficultés à partir de la crise d'août 2007, ont préféré négocier avec leur banque des emprunts encore plus risqués, simplement pour gagner 2 ou 3 ans avant une hausse de leurs échéances encore plus considérables !
Comparant certaines collectivités à « des pilotes qui navigueraient sans instruments de bord », Fitch Ratings dénonce « une véritable fuite en avant qui pourrait rapidement se révéler très dangereuse ».
« Il ne faut pas généraliser, tempère David Diano, directeur du département Finance publique internationale de Fitch Ratings. Les grandes villes, les départements et les régions sont en général gérés par des fonctionnaires compétents qui ont fait preuve de prudence. »
Ce n'est pas toujours le cas dans les villes moyennes. Sans donner de nom, le cabinet cite l'exemple édifiant d'une collectivité ayant « négocié » un prêt à 3,18 % qui pourrait grimper à... 31 % si le dollar descendait dans les 10 prochaines années à 0,5 euro. On en est loin, certes. Mais qui aurait parié en 2006 que le prix du baril de pétrole doublerait en 2 ans ?
Pression fiscale
Les collectivités locales au bord de l'insolvabilité devront donc probablement augmenter la pression fiscale. Elles ne peuvent accroître leur endettement, et elles vont devoir assumer des remboursements plus importants que prévu pour les prêts en cours. Comble de malchance, du fait du ralentissement très prononcé du marché immobilier, elles vont voir se tarir la ressource des droits de mutation à titre onéreux. Ces derniers représentent 5 % du prix de vente d'un bien, partagés entre les départements (3,6 %), les municipalités (1,2 %) et l'État (0,2 %). Ces droits de mutation sont passés de 3,74 milliards d'euros pour les logements en 2000 à plus de 11 milliards en 2007, mais ils vont inévitablement chuter cette année et probablement chuter encore l'année prochaine. Même la ville de Paris, dont la situation financière est par ailleurs réputée saine, a confirmé début octobre une augmentation de 9% des impôts locaux en 2009, pour compenser la déprime de l'immobilier. Ce qui laisse augurer des hausses très fortes de la fiscalité, dans les communes qui cumuleront baisse des droits de mutation et explosion de la bombe à retardement des produits structurés !
1. Du type « intérêt de 3,18 % si le taux EUR-USD est inférieur à 1,44, et de 3,18 % + (100 % - 1,44/EUR-USD) dans le cas contraire ».