Fabienne Maleysson
L’octocrylène sur la sellette
L’octocrylène est un filtre solaire très utilisé dans les produits cosmétiques. Certaines publications scientifiques l’ont mis en cause par le passé mais leur force probante était limitée. Or une étude que vient de publier la revue scientifique Chemical Research in Toxicology laisse entrevoir un effet indésirable qui n’avait pas été étudié jusqu’à présent. Au fil du temps, l’octocrylène se transforme en benzophénone, un composé dont les auteurs expliquent qu’il est génotoxique, cancérogène et perturbateur endocrinien. C’est une équipe de chercheurs français (Centre national de la recherche scientifique et Sorbonne Université) et américains qui a mis au jour cet inquiétant phénomène.
Le protocole de l’étude est simple. Les chercheurs se sont procuré 16 produits cosmétiques contenant de l’octocrylène, dont 8 vendus en France, majoritairement des crèmes solaires mais aussi quelques références anti-âge. Ils ont mesuré leur teneur en benzophénone. Première surprise pour qui n’est pas du sérail : sans être indiqué sur la liste d’ingrédients, ce composé était déjà présent en petite quantité. « L’industrie cosmétique sait depuis un certain temps que l’octocrylène est contaminé par de la benzophénone qui ne peut être retirée en totalité lors de la fabrication », révèle la publication. Les produits ont ensuite été soumis à un vieillissement accéléré mimant une durée d’un an passée à température ambiante, selon un protocole reconnu par les autorités américaines. À l’issue de ce vieillissement, la teneur en benzophénone avait sensiblement augmenté dans tous les produits, le plus contaminé et de loin étant un anti-âge, L’Oréal Age Perfect SPF 20. À noter qu’un produit témoin, sans octocrylène au départ, a aussi été analysé, il ne contenait pas de benzophénone à l’issue du vieillissement. Ceci confirme que c’est bien la présence d’octocrylène qui pose problème. Les chercheurs concluent que la sécurité de ce composé, en tant que générateur de benzophénone, doit être réévaluée d’urgence par les agences sanitaires.
Malheureusement, il s’écoule toujours un temps très long entre les premières alertes et la mise en œuvre de réglementations protectrices pour les consommateurs. D’où l’utilité de nos tests comparatifs de produits cosmétiques et de notre appli QuelProduit.
Peu biodégradable, bioaccumulable et toxique
Depuis le début de notre campagne sur les ingrédients indésirables dans les cosmétiques, voilà trois ans, nous pénalisons les proches parents de la benzophénone (benzophénone 1 et 3), responsables de nombreuses allergies et soupçonnés d’effets perturbateurs endocriniens.
Quant à l’octocrylène, nous l’avons sanctionné dans notre dernier test de crèmes solaires du fait de ses effets délétères sur l’environnement. Il est en effet peu biodégradable, bioaccumulable (1) et toxique pour le milieu aquatique. En revanche, faute d’études suffisamment solides, nous ne le considérions pas comme nocif pour la santé. Mais, comme pour tous les ingrédients cosmétiques, nous restions attentifs à l’évolution des connaissances scientifiques. Cette publication nous a convaincus de classer désormais l’octocrylène parmi nos ingrédients indésirables.
Réévaluer d’urgence l’octocrylène
Lors de notre dernier test de crèmes solaires, nous avons distingué deux produits, l’un de marque Biotherm, l’autre de marque Cattier. Aucun des deux ne contient d’octocrylène. Dans notre prochain essai à paraître en juin, cet ingrédient sera bien évidemment pénalisé. Précisons aussi que nous avons toujours déconseillé de choisir des crèmes autres que solaires (crèmes hydratantes, anti-âge etc.) munies de filtres UV. Le bénéfice est limité lorsqu’on ne s’expose pas spécialement au soleil et nous préférons les listes d’ingrédients courtes.
Enfin, nous rejoignons les auteurs de l’étude sur la nécessité pour les autorités sanitaires de réévaluer d’urgence l’octocrylène. « Il s’agit d’une molécule ancienne, utilisée dans de nombreux produits et à des doses élevées de l’ordre de 10 %, constate Didier Stien, directeur de recherche en chimie à l’Observatoire océanographique de Banyuls (66). Sa toxicité certaine pour les organismes aquatiques devrait déjà conduire à sa réévaluation. Par ailleurs, le mécanisme par lequel il est nocif pour les coraux pourrait être retrouvé chez l’homme. Nous ne l’avons pas prouvé mais cela mériterait d’être étudié. Et enfin, le fait qu’il se transforme en un composé toxique est un argument de poids pour convaincre les autorités de se pencher dessus. Aujourd’hui, nous disposons d’outils pour choisir des molécules qui ne soient nocives ni sur l’environnement, ni sur l’utilisateur. »
(1) Capable de s’accumuler dans les organismes vivants pour y causer des effets délétères.