Anne-Sophie Bedel
Crèmes antiridesL’Oréal ne lissera pas sa communication
Épinglé par l’autorité américaine du commerce (Federal Trade Commission), L’Oréal s’est engagé en juin 2014 à ne plus parler de rajeunissement pour vanter ses cosmétiques aux États-Unis. Trois mois plus tard, il continue à le faire en France, sous l’œil indulgent de l’Autorité de régulation de la publicité.
Le teint frais et reposé, les traits parfaitement lissés, le mannequin des produits antirides Code Jeunesse de L’Oréal avait la peau parfaite d’un bébé. Le message publicitaire accompagnant le visuel promettait d’ailleurs aux clientes qu’elles allaient rajeunir. C’était un peu trop pour la Federal Trade Commission (FTC), agence fédérale notamment chargée de réguler les comportements publicitaires. Elle a demandé au groupe français L’Oréal ce qu’il entendait par propriétés antivieillissement « scientifiquement prouvées » ou « activateur de jeunesse ». Embarras du côté du géant des cosmétiques. Un accord a finalement été signé en juin 2014 entre les deux parties afin d’éviter des poursuites judiciaires.
Les produits incriminés appartenaient aux gammes Génifique et Youth Code, vendus dans l’hexagone avec les mêmes allégations que celles qui ont provoqué l’intervention de la FTC. En bonne logique, le groupe L’Oréal devrait donc modifier ses messages publicitaires en France. Le fera-t-il ? Rien pour le moment ne le laisse penser. Interrogé à ce sujet fin août, le groupe n’a pas souhaité s’exprimer, mais continue à parler « d’activateur de jeunesse » à propos des produits Génifique de Lancôme, entre autres.
La FTC n’a pas d’équivalent exact en France. Chez nous, la régulation de la publicité relève de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Instance contrôlée par les annonceurs et les médias, l’ARPP n’a jamais été réputée pour son agressivité. Sans surprise, elle s’abstient d’intervenir auprès du groupe. Elle le défendrait même plutôt : « La recommandation ARPP Produits Cosmétiques n’interdit pas de faire référence au mécanisme d’action du produit ou de certaines molécules au sein des cellules et donc par définition du derme pour autant que les résultats annoncés en termes d’efficacité antirides soient sur l’apparence », justifie Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP. Dans un article paru dans Les Échos du 1er juillet, il évoquait même un point de traduction, estimant que le message de L’Oréal n’était pas exactement le même en France et aux États-Unis.
Soyons équitable, L’Oréal n’a pas l’apanage des affabulations relatives au rajeunissement. Les produits Re-nutritiv d’Estée Lauder affirment augmenter la durée de vie des cellules. La marque Caudalie revendique une intervention sur le derme en augmentant le nombre et l’activité des fibroblastes. Guerlain parle de « régénérer la vie cellulaire ». La marque Yves Rocher soutient que sa crème antirides a la capacité de faire accéder au « pouvoir de régénération infinie des cellules natives végétales 4G » en seulement six jours. Ce n’est pas de la magie, c’est de la science, dit un slogan de L’Oréal. En l’occurrence, on peut inverser le message. Ce n’est plus de la science, c’est de la magie.
Du côté de Que Choisir, nous avons testé il y a quelques mois 13 crèmes antirides vendues de 60 à 1 570 € le litre. Seulement deux de ces produits se sont révélés à peine efficaces.
L’ARPP, gendarme indulgent des annonceurs
Des pouvoirs limités
L’Agence de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) est une association interprofessionnelle privée chargée de réguler la publicité en France. Elle travaille généralement en amont mais peut aussi intervenir après diffusion lors du constat d’un manquement. Elle n’a pas de pouvoir de sanction, mais son jury de déontologie publicitaire peut mettre les annonceurs en demeure de refuser une publicité. L’ARPP veille donc – du moins, en théorie – au respect de la réglementation en vigueur.
Une faible autonomie par rapport aux annonceurs
L’ARPP est financée à 80 % par les cotisations de ses membres : médias, annonceurs (six sièges sur trente au conseil d’administration), agences (six sièges également). Curieusement, l’ARPP considère ce mode de financement comme « le garant de son indépendance ».
Des recommandations pas toujours suivies d’effet
L’ARPP promeut une publicité « sincère » sur les produits cosmétiques. Une de ses recommandations 2013 proscrit des expressions comme « action rajeunissante » ou « plus jeunes » : les publicités pour cosmétiques doivent se limiter à une « apparence » de rajeunissement et de plus grande jeunesse. En pratique, elle est nettement moins sévère dans ce domaine que ses homologues britannique, suédois ou américain, qui ont déjà retoqué des visuels et messages de Lancôme, Vichy, etc. L’ARPP considère que plus de 97,5 % des publicités de produits cosmétiques sont conformes.
Même quand elle sévit, l’Autorité a du mal à se faire respecter. En 2012 par exemple, elle a demandé au groupe L’Oréal de modifier la mention « activateur de jeunesse » utilisée pour les publicités Génifique de la marque Lancôme. C’est du moins ce qu’on peut lire sur le site de l’ARPP. Or, deux ans plus tard, la mention « activateur de jeunesse » est toujours utilisée par Lancôme.
Erwan Seznec